La faute de l’Europe

Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe
(Photo AFP)

La solution imposée par l’Eurogroupe à Chypre, confrontée à une crise financière catastrophique, présente tant d’inconvénients graves qu’on se demande si le remède n’est pas pire que le mal. Acteurs et spectateurs de cette thérapie sauvage s’accordent à dire qu’il n’y avait pas de bonne solution pour le cas spécifique de Chypre. Il n’empêche qu’un problème relativement mineur a conduit la zone euro à bafouer les principes qui la fondent.

LES CHYPRIOTES grecs ont fait de leur pays une banque de dépôt pour les avoirs étrangers. C’est un paradis fiscal, principalement pour des sociétés et des particuliers russes, mais aussi pour des Britanniques et d’autres. Les dépôts représentent huit fois le produit intérieur brut (PIB). On assiste donc à un cas déjà archivé dans les annales depuis que l’Islande, désireuse de jouer un rôle bancaire comparable à celui des Caïmans, a fait faillite parce que ses banques ne pouvaient plus rembourser les dépôts étrangers.

Chypre, pour sa part, a créé une industrie financière qui accordait un taux intenable de 5% aux dépôts, mais créait des emplois et élevait le niveau de vie sur un territoire par ailleurs trop petit et déshérité pour construire des infrastructures. L’Union européenne, une fois de plus, a laissé faire et n’a pas demandé à Chypre de réformer son système quand la crise fut venue. Le résultat était donc inévitable : avec des avoirs qui représentaient huit fois le PIB, les banques ont fini par s’effondrer. L’Eurogroupe a consenti à faire un prêt de 10 milliards à Chypre qui a besoin de 18 milliards pour faire face à ses dettes. La différence sera prise sur les comptes de plus de 100 000 euros, pour la plupart des comptes russes. L’Eurogroupe utilise le mot de taxe, mais une taxe de 30% sur le capital, et non sur les intérêts, signifie que l’on prend directement l’argent dans la poche des gens, fussent-ils riches, russes, chypriotes ou évadés fiscaux.

Effets négatifs en chaîne.

Une des deux grandes banques de l’île va disparaître. Mais les autres effets négatifs de la taxe sont les suivants : elle a épouvanté les épargnants qui ont hâte de récupérer ce qu’on voudra bien leur rendre ; elle fait entrer l’économie chypriote dans la récession ; elle va créer des milliers de chômeurs ; elle augmente le ratio dette/PIB qui dépassera, et de loin, les cent pour cent. À cette liste de malheurs, on aurait ajouté un conflit grave entre la zone euro et Moscou, si Vladimir Poutine, après avoir exprimé sa colère, n’avait décidé de donner une leçon à ses compatriotes adeptes de l’évasion fiscale et d’examiner les moyens d’atténuer les effets de l’accord sur les intérêts russes.

L’Eurogroupe en général et l’Allemagne en particulier ont décidé de ne pas payer pour les Russes. C’est le seul point fort de leur analyse. En réalité, les Européens sont entrés dans une logique perverse qui va faire plus de dégâts qu’elle ne va régler les problèmes. Cette logique consiste à porter atteinte aux dépôts ou à l’épargne alors que la vocation affichée de la zone euro consiste à maintenir la stabilité et à mettre les épargnants à l’abri des à-coups de la crise. Pour la première fois, ils ont coupé le lien de confiance entre le déposant et sa banque. Tous ceux qui ont un compte, en Europe ou en France, se demandent aujourd’hui si leur argent est en sécurité, dès lors que les règles changent en fonction de la conjoncture et que les personnages chargés de nous protéger n’hésitent plus à sacrifier nos intérêts. C’est un coup contre la stabilité, contre l’Europe, contre la zone euro, et ce sont des dirigeants européens qui l’ont porté. Pas sûr qu’ils ne devront pas, in fine, rendre des comptes.

RICHARD LISCIA

 

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Une réponse à La faute de l’Europe

  1. C’est toujours un plaisir de lire les blogs pleins de bon sens de Richard Liscia. Le simple bon sens aurait été, en effet, de ne pas toucher le capital.Taxer les intérêts est une chose envisageable. Mais taxer le capital est du vol,cela met à mal la confiance que l’on peut accorder aux banques et avec la montée de l’extrême droite dans plusieurs pays d’Europe, on peut craindre des dérapages.
    Personne,j’espère n’aura oublié l »aryanisation des biens », à part les victimes,bien sûr.
    Pauvre Europe! Où nous mênes-tu ?

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