Égypte : Morsi aux abois

Le peule exige le départ de Morsi
(Photo AFP)

Les soubresauts de la révolution égyptienne ont jeté ce pays dans le chaos : les manifestants se comptent par millions et, en dépit d’une répression qui a fait des dizaines de morts, ils s’opposent au pouvoir des Frères musulmans avec la même détermination. Le président, Mohamed Morsi, mesure son échec, mais, s’il recule, c’est l’expérience islamiste tout entière qui risque d’être jetée aux oubliettes de l’histoire.

ON OBSERVE le courage du peuple égyptien avec admiration. M. Morsi n’est pas dépourvu de partisans : il a été porté au pouvoir par plus de 50% des voix. Comme en Turquie, il n’est pas difficile de trouver des soutiens au président et des contre-manifestations ont lieu régulièrement. Bien qu’elle n’ait pas de leader, l’opposition exprime des revendications sociales et laïques. Les Égyptiens ploient sous les effets d’une crise politique qui a aggravé la misère, le dénuement, le désordre moral, et s’accompagne d’un raidissement des prescriptions religieuses auxquelles les laïcs, principalement la jeunesse et les femmes, veulent échapper. M. Morsi, c’est clair, est incompétent. Il est incapable de gérer son pays et, malgré ses défaites politiques et sociales, il entend bel et bien lui donner une orientation religieuse qui, si elle n’est pas rejetée par la totalité des Égyptiens, devient de plus en plus minoritaire.

Bon départ, mauvais trajet.

Quand il fut élu il y a un an, il a pourtant pris de bonnes décisions, en limogeant le maréchal Mohammed Tantaoui, en renvoyant l’armée dans ses casernes, en évitant d’aggraver les tensions avec Israël, en condamnant explicitement le régime syrien, en tentant un rapprochement avec l’Iran. Formé aux États-Unis, il semblait avoir intégré quelques notions occidentales. Mais il ne pouvait échapper aux condisciples qui l’ont fait roi et il a été contraint d’appliquer le programme des Frères musulmans. L’opinion égyptienne a cependant applaudi à ses premières semaines d’exercice du pouvoir. Elle voyait en lui un héros qui, enfin, a mis l’armée au service de la société civile, un président prudent sinon flamboyant, un homme de compromis.

Aujourd’hui, tout a changé. Pour une raison relativement simple : M. Morsi a montré sa force non dans une réforme pourtant indispensable mais dans la répression des opposants. Comme le Premier ministre turc, il a fini par prononcer des propos apaisants en direction des contestataires. C’était trop tard. Ils lui ont répondu par un ultimatum : il doit quitter le pouvoir. Peut-être les manifestants ont-ils placé la barre trop haut. Peut-être sous-estiment-ils l’influence des Frères musulmans parce que, loin de voir dans le résultat des élections une victoire des religieux, ils y ont vu un détournement de la révolution qui, elle, était laïque et féministe. Peut-être enfin ont-ils engagé avec M. Morsi une bataille au finish qui présente l’inconvénient de ne pouvoir aboutir à un compromis. Mais, dans le chaudron égyptien, tout est possible, y compris la victoire des manifestants qui ont compris que le désordre empêche l’exercice du pouvoir par les Frères musulmans et qu’un excès de désordre peut les contraindre à battre en retraite.

Deux hypothèses.

Car c’est du désordre que l’armée prend prétexte pour sortir de sa réserve. Elle menace d’intervenir en force dans les heures qui viennent pour ramener le calme, pour prendre le pouvoir en réalité, ce qui ressemblerait fort à un coup d’État. Il y a deux façons de voir les choses. La première est pessimiste : les Égyptiens s’étaient soulevés contre un pouvoir soutenu par l’armée et ils vont revenir à la case départ, ce qui serait désastreux, car la révolution se traduirait par un gâchis économique et social énorme sans avancée politique. La seconde est optimiste : la révolution égyptienne, déclenchée par un peuple las de la dictature, cherche sa voie. Elle est aujourd’hui dans sa phase Frères musulmans qui, peut-être, s’achève. Elle peut maintenant s’orienter vers la création d’une démocratie parlementaire gouvernée par un régime laïc. Encore faut-il que les civils imposent leur volonté à l’armée. L’évolution sera longue.

RICHARD LISCIA

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