La Russie vaut mieux que ça

Un contresens historique
(Photo AFP)

On en rirait presque. Vladimir Poutine a demandé aux pro-Russes ukrainiens de ne pas procéder à leur référendum, ils ne veulent rien savoir. Les bulletins sont prêts et on votera même, s’il le faut, dans une boîte à chaussures. Le ridicule ne tue pas,  mais ce début de guerre civile entre pro-Russes et pro-Européens fait déjà beaucoup de morts. Il n’est pas excessif de dire que Poutine en porte toute la responsabilité.

IL EN EST responsable parce qu’il n’a jamais eu d’autre priorité que sa victoire sur toute la ligne. Il vise à une Ukraine rendue aux oligarques corrompus. Il vise à une Ukraine russe qui ne pourra jamais se développer. Il a encouragé les amis de Ianoukovitch, l’ex-président déchu, à créer le climat de violence; il a conquis la Crimée sans coup férir ; il a sans cesse opposé sa propre brutalité au désir démocratique ; il a massé 40 000 hommes de troupe à la frontière ; il procède par intimidation ; il va aussi loin dans le recours à la force que le laissent aller l’Europe et l’Amérique, incapables, bien sûr, d’entrer en guerre contre lui. Il ment : il fait annoncer à Genève par son ministre des Affaires étrangères un accord de détente qui ne trouve sa traduction nulle part. Il annonce mercredi dernier qu’il retire ses forces à la frontière, elles ne bougent pas. Il n’a pas d’autorité sur les pro-Russes ou feint de ne pas en avoir.

Aucun scrupule.

Vladimir Poutine, en réalité, est un anachronisme à lui tout seul. Il rêve d’un bloc eurasiatique qui reproduirait sous une autre forme le bloc soviétique dont il a l’intense nostalgie, sans mesurer les difficultés de sa tâche, sans se douter que la grandeur de la Russie serait mieux assurée par le choix d’un système réellement démocratique, sans deviner que le retour des Russes aux libertés consacreraient sa gloire, à lui, Poutine. Il n’est pas coupable de nourrir un sentiment fortement nationaliste, il se trompe parce qu’il croit que la Russie ne peut être bien servie que par l’autorité indiscutée de son président, par la soumission de son peuple à la nouvelle Nomenklatura, que par un cynisme qui, par définition, ne s’embarrasse d’aucun scrupule, que par l’acceptation d’une bonne dose de corruption.

C’est donc moins l’Ukraine qui est en jeu, bien qu’elle soit exposée à un danger mortel, que l’avenir même de la Russie qui vaut beaucoup plus que ce que Poutine veut en faire. Elle ne doit pas être dirigée par un homme qui a manipulé les institutions pour se faire élire alternativement président, Premier ministre, puis président, stratagème qui lui permet de gouverner sans arrêt et jusqu’à sa mort. Elle ne peut pas souscrire aux diffamations qui font de l’Ukraine un repaire de fascistes et de l’Europe un univers nostalgique du nazisme. Elle ne peut pas admettre que sa presse soit bâillonnée et ses dissidents emprisonnés ou envoyés dans des camps, comme au bon vieux temps de Staline. Le tort de Poutine, c’est d’asséner ses contre-vérités comme s’il n’y avait pas autre chose à dire sur les liens évidents qui unissent la Russie à l’Ukraine, comme s’il n’y avait pas d’autre moyen de triompher de l’aspiration des Ukrainiens à l’indépendance que par le chantage au prix du gaz, comme si on ne pouvait assurer le triomphe de la Russie que dans la violence et la conquête.

C’est sûr, les mots ne peuvent rien contre cette force rétrograde. Négocier ? Certes. Il faut constamment rappeler à Poutine que, avec une croissance faible, des évasions record de capitaux, et la fragilité d’une économie basée sur l’énergie seulement, il a besoin d’amis plus que d’ennemis. Jamais l’entreprise nationaliste, à l’heure de la mondialisation, n’a paru aussi funeste. Elle représente un formidable contre-sens. Elle est mère du laxisme, de la violence, de la douleur. C’est d’une Russie en Europe que les Russes ont besoin.

RICHARD LISCIA

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