Sur l’Etat de droit

L'Etat de droit, bien sûr (Photo AFP)

L’Etat de droit, bien sûr
(Photo AFP)

Les drames divers et répétitifs auxquels nous avons été soumis, le risque qu’ils se reproduisent, l’impuissance publique qu’ils entraînent, la frustration qu’ils induisent ont été principalement assortis d’interminables discours. J’ai apporté moi-même apporté ma contribution à cette logorrhée, ce qui est embarrassant mais inévitable.

MAIS JE ME SUIS fait un devoir de lire attentivement de ce que disaient les autres. J’ai même admiré quelques pensées exprimées dans la plus parfaite dignité. Je n’ai pas trouvé, cependant, de quoi satisfaire ce qui devrait être l’unique exigence : la formule sécuritaire susceptible de nous protéger collectivement. Lucide et direct, comme à son habitude, Manuel Valls nous a mis en garde contre de nouveaux attentats, toujours possibles. On le créditera de sa clairvoyance tout en lui reprochant, peut-être, de ne pas dire comment il compte faire pour nous épargner de nouveaux chagrins. « La limite, a-t-il expliqué, c’est l’Etat de droit ». Personne ne blâmera le Premier ministre parce qu’il se maintient dans d’intangibles frontières démocratiques. Mais il ne faut pas non plus que cette position se traduise par des pertes en vies innocentes.

Un exercice acrobatique.

Au demeurant, M. Valls n’est pas le seul à invoquer l’Etat de droit. C’est l’axe de raisonnement de tous les juristes, de tous les juges, de tous les maîtres à penser du pays. Ce qui vaguement m’inquiète, sans que j’ose vraiment exposer mon idée, c’est que si l’Etat de droit passe avant la vie, nous allons lui sacrifier un nombre très élevé de vies. J’ai tenté, de mon côté, de proposer des pistes conciliant la fermeté, et même la répression (il faut appeler un chat un chat), avec le respect de la Constitution. Je n’ai pas caché que l’exercice relève de la performance de l’athlète de haut niveau. Bref, je voudrais bien que l’on parvienne, en France, à juguler le terrorisme sans rien changer aux fondements démocratiques de notre société.
En revanche, faire de l’Etat de droit une sorte de priorité absolue ou de serment inviolable ne doit pas signifier que nous le préférons à la vie. Juges et experts se contentent de nous dire que devons respecter nos institutions, relèvent les abus qui ont déjà été commis, s’inquiètent de l’orientation que peut prendre une société meurtrie, dominée par la peur, incertaine quant à l’issue de son combat contre le mal. En somme, ils nous enjoignent de veiller à l’intégrité de la démocratie française. Et peu importent les conséquences ?

Inséparable de la paix civile.

Le problème que pose leur rigidité louable mais, d’une certaine manière, indifférente aux craintes populaires, c’est que l’Etat de droit est inséparable de la paix civile. Une répétition des attentats dans les semaines ou les mois qui viennent fera bouillir nos concitoyens de colère et ceux qui, dès maintenant, se déclarent prêts à passer à la contre-offensive, c’est-à-dire à s’engager personnellement contre les criminels, ne semblent pas sensibles aux exigences du droit. Ils pourraient alors faire régner dans notre pays une atmosphère des plus irrespirables. Si nos concitoyens commencent à faire leur propre police, c’en sera fini de l’Etat de droit plus sûrement que si nous passons avec lui quelques accommodements.
C’est pourquoi le choix de poursuivre la lutte anti-terroriste dans le cadre des lois doit être assorti d’un plan innovant, crédible, original, pour empêcher les projets d’attentats. Si on ne les évite pas tous, la plupart doivent être tués dans l’oeuf. Sinon, c’est la rue qui prendra le relais. La rue, soutenue par les extrêmes, qui, comme d’habitude, n’hésiteront pas à dire que, grâce à eux, tout s’arrangera.

RICHARD LISCIA

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3 réponses à Sur l’Etat de droit

  1. vulmiere dit :

    La rue n’étant pas écoutée, elle finira par prendre le pouvoir, lasse d’entendre toujours les mêmes mots : paix, écoute, sérénité, amour du prochain, alors que le dit prochain, TUEUR, n’a qu’une idée en tête : imposer partout la charia, et détruire l’humanité.
    Tous les actes terroristes procèdent de la même identité depuis plus de mille ans…

  2. A3ro dit :

    Je ne suis pas tout a fait d’accord. A votre crédit, vous reconnaissez que concilier plus de lutte anti terroriste, plus de répression, et respect de l’Etat de droit est un exercice d’athlète.

    Mais opposer la vie et l’Etat de droit n’est pas vraiment juste. L’etat de droit garantit précisément l’ordre, le sentiment de justice sociale, de légitimité des institutions sans lequel les pertes en vie humaine pourrait être bien plus élevée. A titre d’exemple, sans un Etat de droit solide dans lequel le pouvoir vient de la loi et des citoyens, c’est la porte ouverte aux manifestations qui dégénèrent, au coup d’Etat, sans parler des abus de toute sorte. A ce titre, il est frappant de constater que le coup d’Etat en Turquie fait plus de morts que tous les attentats combinés depuis 2015.

    La deuxième chose, c’est que l’Etat de droit et notre démocratie sont précisément ce qui fait de l’Occident le gentil dans cette « guerre ». Imaginons un moment qu’on interne les gens dont on se dit qu’ils pourraient commettre des attentats, et qu’on surveille leur famille. Quelque milliers de gens dans des prisons ou camps, et l’équivalent sous surveillance. Les abus seraient nombreux, les protestations vives et souvent violentes (voire avec des morts), mais a priori, nettement moins d’attentats. Mais l’EI, ou son successeur, ne se priverait pas de se servir de ca pour recruter la génération suivante de terroristes. Et de 200 morts en 2015-2016, on aura la paix pendant, allez, 5 ans, puis trois fois plus par an. Les Etats Unis ont interné et torturé des terroristes suspectés a Guantanamo : certes, ceux ci n’ont plus commis d’attentats, mais ils ont servi de poster de recrutement géant pour tous les futur apprentis djihadistes. Les terroristes d’aujourd’hui avaient 5 ans le 11 septembre. Les terroristes de demain ont 5 ans aujourd’hui. Evitons de les tourner contre nous par des politiques qui nous dégraderaient.

  3. JMB dit :

    Le deuxième amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique garantit pour tout citoyen américain le droit de porter des armes. Résultat: on évalue à 30 000 morts le nombre des Étatsuniens tués par armes à feu chaque année. Bien que ce nombre soit nettement plus élevé que les victimes d’attentats, on n’envisage pas de modifier l’État de droit, et en particulier ce deuxième amendement , qui semble relever d’une vérité révélée, d’un onzième commandement oublié des Tables de la Loi.

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