EN 2004 déjà, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Économie s’enorgueillissait d’avoir « sauvé » Alstom. Visiblement, sa thérapeutique n’était pas suffisante puisque Alstom a vendu il y a deux ans toute sa filière énergétique à General Electric, au grand dam d’un autre ministre, Arnaud Montebourg, qui s’est dressé contre le projet de vente mais n’a pas réussi à l’empêcher. Pour au moins deux bonnes raisons. La première est que la participation de l’État est insuffisante pour lui assurer le contrôle de l’entreprise ; la seconde est que, quand il n’y a pas de commandes suffisantes, les remèdes commerciaux sont inexistants et doivent être remplacés par des acrobaties politiques. Le problème tombe mal pour un François Hollande qui entend se présenter pour un second mandat présidentiel et le voilà qui, comme d’autres avant lui, et dans d’autres affaires du même genre, jure, à son tour, qu’il va trouver dans les dix jours les solutions qui maintiendront Alstom à Belfort. La ville s’identifie à cette industrie, elle en vit et serait sinistrée si Alstom s’en allait.
Trente milliards de commandes.
Cependant, Alstom n’est pas en perdition. Son chiffre d’affaires est de 6,9 milliards d’euros et le résultat net de sa filière ferroviaire est de 366 millions. Son carnet de commandes s’élève à près de 30 milliards. En bon manager, le P-DG, Henri Poupart-Lafarge, qui a succédé à Patrick Kron, a seulement constaté que, entre 2018 et 2022, les ouvriers de Belfort n’avaient rien à faire et il souhaite les transférer sur un autre site. Tels sont les éléments de la crise. Que nous enseignent-ils ? Que les industriels français, comme l’État, sont imprévoyants. Cela fait des années qu’Alstom aurait dû se diversifier afin de trouver de nouveaux marchés. Comment se fait-il que le pays qui a littéralement inventé le train à grande vitesse soit dépassé aujourd’hui par ses concurrents européens et asiatiques? Ce qui n’a pas été fait dans le cadre d’un plan stratégique à long terme va donc être accompli dans la précipitation et dans des conditions qui n’ont rien à voir avec la logique économique.
Le gouvernement veut forcer la main à la SNCF et à la RATP pour qu’elles achètent des locomotives, alors qu’ils n’en ont pas vraiment besoin. L’endettement de la SNCF (quelque 40 milliards) ne l’autorise guère à dépenser de l’argent sans bonne raison commerciale. Bref, il est difficile de faire boire un âne qui n’a pas soif. Mais qu’importe ? Aucun membre du gouvernement ne songe à souligner la désindustrialisation du pays (Areva vient d’annoncer qu’il renonçait à exploiter sa filière des énergies nouvelles, alors qu’elles représentent l’avenir). L’important, aux yeux du pouvoir, c’est de traiter la crise sociale, qui certes n’est pas la moins grave, mais par des expédients d’inspiration politique.
Ce que Macron n’a pas fait.
On se prend à penser qu’Emmanuel Macron, qui est tellement attaché à une vision moderne et dynamique de l’industrie française, aurait pu, avant de quitter le gouvernement pour se lancer dans une aventure personnelle, traiter le cas Alstom. Il est vrai que les chefs d’entreprise ne souhaitent pas que l’État se mêle de leurs affaires, il est possible que M. Poupart-Lafarge ait mis le gouvernement devant un fait accompli, comme on l’affirme à l’Élysée. Mais personne n’ignorait, ni à Belfort ni à Paris, les difficultés de la branche ferroviaire, personne n’a pensé à proposer un plan de redressement à long terme pour une entreprise qui, globalement, est plutôt en bonne santé. Lors de la vente à General Electric, tous les responsables français et américains de la transaction juraient qu’il n’y aurait pas de licenciements à Alstom. C’était hier.
RICHARD LISCIA