Le salon où l’on cause

Wauquiez au Salon
(Photo AFP)

La constance de nos élus, leur assiduité compétitive au Salon de l’agriculture, la fréquence de leurs visites qui les écarte de leur travail ordinaire ne peuvent être que saluées. Car leurs concitoyens ne les envient pas de devoir pratiquer cet invraisemblable exercice.

TROIS FOIS. Le Premier ministre, Edouard Philippe, se sera rendu trois fois au Salon de l’Agriculture, après un marathon de douze heures trente effectué samedi dernier par le président de la République. Et Nicolas Hulot, qui refusait de s’y rendre, a fini par y aller. Chef de l’opposition de droite, Laurent Wauquiez y est apparu en représentant quintessentiel de la France profonde, et qui, sous le prétexte de répondre à une question sur les réactions plutôt vives à ses propos tenus devant des étudiants, s’est contenté de juger l’incapacité du chef de l’Etat, sa bête noire, à « comprendre » le monde agricole, qu’il « méprise » et dont il ne sait rien. Ce que nous a appris ce salon, ce n’est pas l’expression purement rituelle de l’amour inspiré par les paysans à nos élus, c’est que M. Wauquiez a pensé, organisé et soigneusement lancé son offensive tous azimuts contre le pouvoir.

Le Petit chaperon rouge.

Il le fait en prenant soin de discuter rarement des projets de réforme. Ne lui demandez pas de débattre sur le fond. Son nouveau fonds de commerce, c’est l’attaque personnelle, cette méthode que les Américains appellent character assassination. Elle permet de démolir un adversaire en dessinant sa caricature à gros traits, au lieu de critiquer ses actes. Inutile de savoir s’il savait ou non que ses propos pour les étudiants étaient enregistrés. Au Salon, il en a reproduit d’identiques et devant un très large public. Interrogé sur la réinsertion des loups dans les campagnes, il a dénoncé la convention de Berne (encore une folie européenne) qui apporte une protection relative aux loups et assuré que le problème serait réglé quand un enfant serait égorgé par un loup. La pensée de cet énarque normalien s’inspire donc du Petit chaperon rouge, à la sauce scandaleuse.

A le voir tenir avec fermeté une ligne aussi épaisse, inattendue et virulente, on devine que son projet va bien au-delà d’une danse du ventre pour les électeurs du Front national. Il se présente aujourd’hui comme l’autre miroir du nouveau monde. S’il tempête contre ses ennemis et ses amis, s’il n’épargne personne, c’est qu’il prétend acquérir la virginité d’un chef de guerre que rien ne lie au passé. Il est là, comme Macron, pour faire de la politique différemment et, en définitive, il y parvient fort bien, en évinçant Jean-Luc Mélenchon de la position de premier opposant au pouvoir. Mais oui, il incarne le symétrique du macronisme et, quitte à me répéter, il puise son inspiration outre-Atlantique. Donald Trump n’a pas gagné les élections de 2016 parce qu’il avait un meilleur programme que celui d’Hillary Clinton, mais parce qu’il n’a jamais cessé de la calomnier et de faire d’elle un épouvantail. Ce faisant, il a rallié des foules ivres de haine qui criaient : « Lock her up ! » (jetez-la en prison). C’est ainsi que Trump est entré à la Maison Blanche. Et j’imagine sans mal un autre slogan répété dans les meetings sous l’effet d’une sève haineuse, dans deux ou trois ans : « Macron en prison ! « .

Pour réussir, abolir la morale.

A quoi il faut ajouter que l’absence d’éthique en politique n’a jamais nui à un candidat. Quand Jean-Pierre Raffarin arrive sur un plateau pour dire qu’il faut respecter la fonction de président de la République, il fait rire M. Wauquiez. Les électeurs se détournent rarement des candidats à cause de leur cynisme, ils sont eux-mêmes blindés contre les mensonges et ils sont prêts à trouver dans les fake news l’expression d’une vérité qui les libère de leurs angoisses. Le monde n’est si mauvais et hostile que parce que, partout, des démons inconnus tirent les ficelles des drames géopolitiques, que l’actualité est un cauchemar et que le rêve se situe dans une troisième dimension à laquelle le citoyen n’aurait pas accès.

Ce qui est pathétique dans ce renouveau alternatif de la politique, c’est qu’il comporte lui aussi ses contradictions internes, ses limites, l’énorme forfaiture qui crève les yeux des gens les moins vulnérables au langage populiste. Par exemple, le lent déclin d’une Marine Le Pen assommée par ses propres et visibles incompétences, a été quelque peu accéléré par la visite à Washington de Marion Maréchal Le Pen, qui a prononcé un discours (en anglais) devant un cénacle d’ultra-conservateurs acquis à la cause de Trump. Elle a expliqué que « America First » n’exclut pas un autre slogan, « France first ».  Un petit voyage vite fait, très commenté en France, ignoré par les Américains. C’est étrange d’avoir une pensée si rigoureuse que l’on puisse afficher sa suspicion à l’égard des Etats-Unis, mais que, pour un retour en politique, on aille y chercher une onction qu’on n’obtient même pas.

RICHARD LISCIA

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Une réponse à Le salon où l’on cause

  1. elmundoentubolsillo dit :

    Merci pour le lien ! Sacré boulot !

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