Colère et chaos

La conquête des Champs
(Photo AFP)

Les gilets jaunes ont rejeté la proposition du gouvernement d’un rassemblement au Champ-de-Mars et sont parvenus à pénétrer dans les Champs-Élysées. Débordés par des casseurs, ils ont assisté, parfois avec consternation mais toujours avec impuissance, au saccage du quartier. Ils attendent les propos qu’Emmanuel Macron va tenir demain tout en poursuivant leur mouvement.

LES MANIFESTANTS sont salués depuis des semaines par la plupart des « observateurs », comme les représentants d’une France qui souffre et réclame seulement une amélioration de son niveau de vie. Dès lors qu’ils rejettent toute récupération par les syndicats ou les partis politiques et que leurs porte-parole ne semblent pas avoir sur eux une autorité particulière,  leur action est caractérisée par l’irresponsabilité. N’importe quel syndicat aurait su à l’avance que des anarchistes violents s’introduiraient dans leurs manifestations et démoliraient les Champs-Élysées. Leurs rassemblements et les conséquences de ces rassemblements ont déjà porté un coup dur au tourisme en France. Les annulations de réservation dans les hôtels parisiens sont nombreuses. Irresponsables, ils le sont encore quand ils agressent des journalistes, pourtant à leurs côtés pour expliquer leurs doléances, pour autant qu’elles soient compréhensibles. Irresponsables encore quand ils laissent certains des leurs prononcer des propos racistes ou homophobes. Irresponsables quand ils avancent leurs solutions : démission du président, retour de l’ISF (ils ne savent pas pourquoi il a été supprimé partiellement). Irresponsables toujours quand ils affirment que leurs difficultés personnelles ne leur permettent pas de contribuer à la lutte contre la pollution et contre le réchauffement climatique. Inutile d’ajouter que les émeutes à la Réunion font partie de la dégradation de nos infrastructures nationales. La ministre des Outre-mer, Annick Girardin, est allée sur place, on lui souhaite beaucoup de courage.

Le rôle de Marine Le Pen.

Ils ne sont pas les seuls à se complaire dans le désordre. Marine Le Pen les a encouragés à aller aux Champs-Élysées, puis elle a juré qu’elle ne leur avait pas demandé de tout casser, avec une hypocrisie dont elle n’a pas l’exclusivité, mais qu’elle possède en grandes quantités. La voilà qui triomphe aujourd’hui sur une montagne de gravats, de devantures détruites, des chaises cassées et d’abribus rasés. Quand elle aura fini, par ses commentaires sarcastiques, d’affaiblir l’économie française, elle pourra conquérir le pouvoir et apporter ses solutions qui, j’en prends le pari, ne feront pas baisser le prix de l’essence et du fuel. Le président de la République est dans une impasse : il va s’exprimer demain et n’annoncera certainement pas l’annulation de la surtaxe sur les carburants censée s’appliquer au 1er janvier 2019. Il a déjà fait des concessions que personne ne semble avoir entendues : pas de péage sur les autoroutes urbaines et accompagnement social des foyers contraints de rouler en voiture ou d’avoir deux autos. Ce ne sera pas suffisant pour que les gilets jaunes rentrent chez eux.

Démolition par procuration.

L’incohérence, parfois consternante, des revendications, la surenchère du Rassemblement national et celle, moins appuyée de la France insoumise, l’aveuglement des manifestants, qui n’ont toujours pas compris , un peu comme la CGT, que tout conflit doit se terminer par une négociation, font du mouvement une force dont le sombre pronostic risque de s’auto-réaliser. Leur action va les appauvrir eux-mêmes, coûter cher au pays mais ils en rendront responsable le gouvernement. Du coup, l’idée d’une démission de Macron va finir par s’imposer comme une évidence. La plus simple des logiques, pour les si nombreux commentateurs qui sévissent dans les médias, aurait consisté à souligner l’ignorance des manifestants. De montrer qu’ils sont les victimes de la crise de 2008, de l’absence de réformes et de la désindustrialisation. D’insister sur la volonté de Macron de redresser le pays avec l’espoir d’en réduire les inégalités sociales.  Que sa communication soit imparfaite, qu’il n’ait pas su s’adresser à cette partie de la France qui souffre, qu’il ait cru que la patience fût une vertu nationale, rien de tout cela ne peut justifier les exactions qui ont été commises, l’intolérance qui a été exprimée, les humiliations infligées aux automobilistes et aux routiers par ceux qui avaient conquis les ronds-points. On affirme aussi que Macron joue le pourrissement de la crise, que son slogan est « moi ou le chaos ». Je ne vois pas en quoi cette perversité lui serait profitable. Le chaos, on n’en est pas loin ; et ce que ressentent les réformistes du pays, c’est que les alternatives offertes par les partis ayant les plus grandes chances électorales sont les plus dommageables à sa prospérité.

Tous ceux qui veulent que Macron s’en aille au plus vite attendent des gilets jaunes qu’ils fassent le travail  de démolition des institutions que la France insoumise a inscrite dans son programme mais qu’elle n’ose pas accomplir elle-même, car il ne peut être fait que dans le cadre d’une révolte ou d’une révolution. On voit dans le mouvement quelque chose qui ressemblerait à 1968. Mais l’histoire ne se répète pas : ce ne sont pas les mêmes revendications, ce ne sont pas les mêmes catégories sociales, ce ne sont pas les mêmes intentions, et même le chaos d’aujourd’hui n’est pas comparable à celui d’hier. Non seulement l’épisode des gilets jaunes n’est ni anodin ni négligeable, non seulement il affaiblit Macron, qui ne saurait revendiquer la majorité qui lui a été donnée en 2017, mais l’effort spectaculaire du président pour changer durablement le pays est compromis. Le « dégagisme » a des effets bien plus pervers qu’on ne le croit. Il n’a pas donné à la France la chance de se réformer qu’elle méritait.

RICHARD LISCIA

 

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6 réponses à Colère et chaos

  1. Liberty8 dit :

    Que de pessimisme M. Liscia, et pourtant que de réalisme dans les circonstances actuelles! Oui, cette contestation sans que l’on en sache le but réel (mais le savent ils eux-mêmes ?) est consternante, sans que l’on voie d’autre fin que le pourrissement. Non M. Macron ne démissionnera pas, il ne peut pas, il ne veut pas. Il va probablement durcir la « répression » avec la baisse probable des effectifs gilets jaunes et la présence de plus en plus grande de casseurs. La classe moyenne et celle des retraités est au maximum de la tolérance des taxes qui s’appliquent. Il va falloir l’impôt pour tous (et non pour 50 % de la population) et les allocations réintroduites au revenu pour rendre notre politique fiscale plus juste et plus tolérable a ceux qui payent pour les autres.

    Réponse
    Les gilets jaunes ne paient pas l’impôt sur le revenu. C’est une révolte contre les impôts indirects.
    R.L.

  2. Michel de Guibert dit :

    Toutes les jacqueries (rein à voir avec mai 68) et toutes les révolutions ont eu pour origine la pression fiscale excessive…

  3. patrick abadie dit :

    Il faut quand même comprendre que taxer encore plus l’essence sans proposer tout de suite une alternative plus écologique ne peut faire diminuer la consommation pour ceux qui doivent aller travailler sans avoir la possibilité de prendre par exemple un transport en commun. Pour ce qui est d’une voiture électrique elle est encore bien chère à l’achat (même avec les primes) et tout le monde n’a pas une maison individuelle pour installer une prise électrique. A quand l’installation de prises dans les villes ? De plus nous savons tous que ces taxes sur l’essence ne sont que très marginalement utilisées pour favoriser un transport plus durable. Donc il est logique que cette augmentation de taxes soit perçue comme un bon moyen de faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat. Quand nos dirigeants vont-ils s’attaquer vraiment à la baisse des dépenses publiques ? De plus chercher sans cesse la croissance n’est pas cohérent pour une vrai transition vers une écologie intégrale.

    Réponse
    vos arguments sont excellents et nous les connaissons. De là à démolir les Champs-Elysées et à réclamer la démission de Macron, peut-être qu’a été franchi un cap.
    R. L.

  4. Scalex dit :

    Les gilets jaunes veulent renverser Macron ? Mais si on regarde le sondage d’avril dernier, on ne voit pas comment il ne serait pas réélu s’il se représentait. A moins que Le Pen et Mélenchon fassent alliance, ce qui serait le comble de l’absurdité.
    Réponse
    On n’en est pas à une absurdité près.
    R.L.

  5. HONORE Dominique dit :

    La transition écologique ne sera efficace que si elle est mondiale : à l’échelle de la planète, nous ne représentons que bien peu de chose si bien que, quoi que l’on fasse, cela n’aura aucun effet sur l’évolution climatique. De plus, cela ne peut se faire que sur 10 ou 15 ans, le temps d’adaptation nécessaire pour nos sociétés et industries. M. Macron est très certainement le plus courageux et le plus compétent pour engager les réformes que, depuis plusieurs décennies , ses prédécesseurs n’ont pas eu le courage ni la compétence pour les réaliser. En revanche, pour ce qui concerne cette surtaxation des carburants, c’est se moquer du monde que prétexter l’écologie alors qu’il s’agit surtout d’un impôt indirect, si facilement collecté et qui rapporte tant aux caisses de l’Etat !

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