La parole de l’oracle

Un choix cornélien
(Photo S. Toubon)

Emmanuel Macron s’exprimera ce soir après avoir consulté les syndicats et diverses autorités politiques. Il ne peut pas se permettre de faire un discours nuancé, économique, expert ou technocratique. Il doit parler simplement et annoncer des mesures claires, des chiffres impressionnants.

LE POUVOIR a changé de tactique sécuritaire et empêché la mise à sac de Paris. Mais les dégâts sont considérables dans quelques quartiers de la capitale et surtout dans de grandes villes de province, Lyon, Bordeaux, Marseille, Saint-Étienne et le Puy-en-Velay. Les policiers ont interpellé les manifestants venus en nombre à Paris au moment où ils descendaient d’un train ou d’un bus, les ont fouillés et ont retenu au total près de 2 000 personnes dont la moitié a été mise en garde à vue. Bien que la procédure ait été engagée par des procureurs et des juges, des avocats déplorent une méthode qui serait, selon eux, anti-constitutionnelle. Nous aurons donc droit à une nouvelle polémique au sujet des moyens mis en œuvre par les pouvoirs publics pour juguler le désordre, la casse, la folie destructrice. Mais la démonstration a été faite, en quatre samedis, qu’il n’existe aucun moyen de contrôler ceux qui sont décidés à en découdre. Aujourd’hui, alors même que nombre de manifestants posent spontanément la question de la sécurité, rien ne prouve que samedi prochain 15 décembre, la guérilla urbaine ne va pas recommencer. Même si le président de la République fait des concessions considérables.

Peste et choléra.

Cela tient à l’absolutisme du mouvement des gilets jaunes, qui refuse de nommer des représentants, qui craint une récupération par les partis politiques, et qui est incapable d’ordonner et d’unifier ses revendications.. Les gilets dénoncent le rôle joué par les vandales, mais ils veulent poursuivre leurs manifestations catastrophiques du samedi. La France surgie de ce désordre a subi une transfiguration sans précédent. La logique a disparu : des gilets jaunes se plaignent des casseurs, mais jurent qu’ils manifesteront encore et toujours jusqu’à la démission de Macron ou la dissolution de l’Assemblée.  Les « doléances » sont en réalité des revendications impossibles à satisfaire si le gouvernement ne veut pas ajouter au recul inévitable de la croissance une hausse du déficit et de la dette. Mais le président doit choisir entre la peste et le choléra. Il est, de toute façon, empêché de fait. Soit il s’en va, soit il renonce partiellement à ses réformes et passe d’une politique d’austérité à une politique sociale coûteuse. En effet, les Français n’attendent pas de lui l’énumération de quelques pourcentages, ils exigent des augmentations mensuelles en centaines d’euros, qu’il s’agisse du smic, des minima sociaux, des aides diverses et variées dont bénéficient les plus démunis.

Un contrat social.

Des pistes ont déjà été suggérées : l’abolition du prélèvement des cinq euros mensuels sur l’aide au logement, celle de la hausse de la CSG, notamment pour les retraités, une diminution de l’impôt sur le revenu (mais les gilets ne le paient pas pour la plupart), la suppression totale de la taxe d’habitation, mais elle ne concerne plus que les 20 % qui ont les moyens de la payer, ce n’est donc pas une bonne idée. En réalité, M. Macron est obligé de faire ce que l’on fait avec l’incendie d’un puits de pétrole : on fait exploser une grosse bombe dans les flammes pour éteindre le feu par effet de souffle. Lorsque Muriel Pénicaud, ministre du Travail, dit : nous ne pouvons pas augmenter le smic parce que nous mettrions en danger les petites entreprises, elle a parfaitement raison, tellement raison que cette mesure priverait de leur emploi des milliers, peut-être des dizaines de milliers de salariés. Mais avoir raison dans cette conjoncture incontrôlable, c’est être privé de la vision globale de la situation.

Qu’il donne ou non un large coup de pouce au smic, le chef de l’État doit chiffrer l’effort qu’il fournira en faveur de ceux qui manifestent. Il a déjà prévu de consacrer le premier trimestre 2019 à ce qui pourrait être l’élaboration d’un nouveau contrat social (suggéré notamment par Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères). Mais il faut aussi qu’il démobilise les gilets jaunes en accordant immédiatement des hausses de prestations. Comme il n’est pas homme à se décourager, il tentera aujourd’hui d’éteindre la colère et se donnera le temps de revenir plus tard aux réformes. Mais comment pourrait-il les mener à bien, après une séquence qui menaçait (et menace encore) sa fonction ? Le grand colloque social qui se prépare reflètera davantage le point de vue syndical que le sien. En d’autres termes, le macronisme est fini, comme j’ai eu l’occasion de l’écrire. Macron va se transformer très vite en point d’équilibre entre les exigences d’un pays enragé et ce que raisonnablement un président peut faire, étant entendu que la « transformation » attendra des jours meilleurs.

RICHARD LISCIA

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4 réponses à La parole de l’oracle

  1. admin dit :

    LL (USA) dit :
    Soyons magnanimes et parions sur le contretemps.

  2. chretien dit :

    Encore un article et des réflexions brillantes ! Rien à ajouter !
    Vous auriez du devenir conseiller de la présidence et le faire réagir plus tôt ! Nous n’en serions pas là !
    Réponse
    Vous me faites trop d’honneur ! Mais je suis sûr que vous plaisantez.
    R.L.

  3. Jacques PERNES dit :

    A mon humble avis, la vraie question dans cette histoire, c’est : « A qui profite le crime ? ». Qui avait intérêt à déstabiliser M. Macron, vrai leader européen, dont la voie portait partout dans le monde, qui avait un vrai projet pour l’Europe ? La réponse est : énormément de monde. Surtout à quelques mois des européennes. Je ne dis pas que le mouvement des gilets jaunes a été initié de l’étranger. Je n’en sais rien. Mais on peut se poser la question. Et même s’il n’a pas été initié de l’étranger, il y a forcément plein de gens qui ont su ensuite souffler sur les braises. Malheureusement, cela a marché. Et bientôt nous n’aurons plus que nos yeux pour pleurer, y compris les gilets jaunes qui seront probablement les premiers à trinquer. A votre santé !

  4. Cabanes dit :

    On a atteint la limite de notre chère démocratie. Effectivement les gilets jaunes sont contre la violence, mais ils s’appuient sur cette dernière pour obtenir gain de cause. 200 000 gilets jaunes peuvent faire infléchir une politique. Fantastique ! Les médias assurent, par sondages interposés, que les Français soutiennent avec 80 % les gilets jaunes. Quelle était la question posée aux Français dans ce sondage ? On ne le saura jamais. Si les manifestations et les sondages semblent suffisants pour gouverner notre pays, cela n’est plus la peine d’aller voter.
    Vous avez dit « démocratie » ?

    Réponse
    La question était : « Soutenez-vous le mouvement des gilets jaunes ? »
    R. L.

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