Le délire américain

Nancy Pelosi
(Photo AFP)

Bien que la crise des gilets jaunes soit d’une gravité sans précédent, elle a rendu  cette chronique monothématique. J’en viens aujourd’hui à la politique telle qu’elle est conçue par Donald Trump. Il n’y a pas, là non plus, de quoi se réjouir.

MIS en minorité par la victoire des démocrates à la Chambre des représentants, l’équivalent de notre Assemblée nationale, Donald Trump n’entend pas pour autant s’accommoder d’une opposition déterminée à bloquer un certain nombre de ses initiatives les plus controversées. Son mur, à la frontière du Mexique, il y tient. Et comme il a bel et bien renoncé à le faire financer par son voisin du sud, il s’efforce maintenant d’en imposer la dépense au Congrès et demande une première tranche de 5,7 milliards de dollars pour le début des travaux. La majorité à la Chambre, dirigée par Nancy Pelosi, représentante de la Californie, estime que les États-Unis ont besoin de faire d’autres dépenses plus urgentes. Du coup,  Trump a cédé à l’un de ses nombreux caprices et arrêté de financer un certain nombre d’activités de son administration, en pratiquant le fameux « shutdown » ce qui signifie la fermeture d’un certain nombre de services gouvernementaux et la mise au chômage technique de 800000 fonctionnaires.

Un grillage plutôt que le mur.

Ce n’est pas la première fois que se produit un tel shutdown, expression la plus achevée de l’impuissance gouvernementale. Barack Obama, constamment harcelé par un Congrès à majorité républicaine, en a subi les effets avant Trump et d’autres présidents avant lui. Mais, au fond, l’attitude impériale de Trump indique son déni du changement de majorité à la Chambre, son refus de coopérer avec les élus, son recours au chantage, et sa prise d’otages dans l’administration. Le bras-de-fer risque de durer mais il se poursuivra au détriment de Trump, qui ne fera pas admettre à l’ensemble des Américains que les démocrates sont les seuls  à avoir pris la responsabilité du shutdown. Les électeurs ne pensent pas lourd de la classe politique, et si Trump est assuré de bénéficier du soutien d’une fraction de l’opinion, de toute façon, il finira par subir l’impopularité de ses méthodes. Aujourd’hui encore, il s’est rendu à la frontière mexicaine pour exalter sa politique migratoire, dont la principale caractéristique consiste à traiter les immigrés comme des voleurs et des violeurs (il l’a encore dit cette semaine). Il est prêt, dit-il, à se contenter d’un grillage à la place du mur, mais aucun dialogue avec l’opposition ne permet de croire que l’exécutif et le législatif s’acheminent vers un compromis.

La question syrienne.

La chronique du trumpisme à l’œuvre n’est pas enthousiasmante, en partie parce que le vocabulaire courant ne suffit pas à décrire la folie, l’infantilisme assorti de narcissisme et l’inventivité dans le mensonge qui relatent le comportement et la gestion de Trump. Pratiquement, il n’est plus entouré que par des conseillers dociles ou idéologiquement encore plus populistes que lui. Les derniers personnages un peu sérieux qui collaboraient avec le pouvoir sont partis, y compris le général  Jim Mattis, secrétaire à la Défense, brouillé avec Trump au sujet de l’évacuation, à la fois prématurée et illogique, des troupes américaines qui tenaient, avec les Kurdes, le nord-est de la Syrie. Depuis, le président américain a mis de l’eau dans son vin, rassuré ses alliés et les Kurdes, dont Erdogan, le président turc, ne voulait faire qu’une bouchée. Les 2 000 militaires américains et, surtout, leur matériel, ne quitteront la Syrie que très lentement, autre façon de dire qu’ils resteront sur place quelques mois (ou même quelques années) de plus.

La tentation de se révolter.

Pendant ce temps, les investigations de Robert Mueller, procureur spécial chargé d’enquêter sur une possible collusion entre la campagne de Trump en 2016 et des agents russes, se poursuit. Le président a compris que, s’il limogeait Mueller, il serait contraint à la démission par l’opinion publique ; et donc il s’efforce de minimiser quelques résultats assez probants de l’enquête, de discréditer les témoins qui font des révélations et rappelle à qui veut l’entendre qu’il bénéficie de l’immunité présidentielle. Je n’ai jamais cru qu’il risquait la destitution, mais du train où vont ses affaires, il arrivera très affaibli à sa campagne pour un second mandat, qui l’obsède. En tout cas, il vaut mieux compter sur un basculement de l’opinion que sur la justice si l’on souhaite que l’Amérique se débarrasse de Trump. L’opposition démocrate tend à se radicaliser, avec de jeunes et nouveaux élus très à gauche qui, désormais, osent parler, comme l’ancien candidat à la présidence Bernie Sanders, de socialisme américain. Or il n’y aura jamais, aux États-Unis, une majorité absolue en faveur d’un programme socialiste, même si ceux qui le portent consentent à l’adapter aux structures du marché national. Pour le moment, la seule chance de Trump, c’est qu’à son populisme de droite s’oppose un populisme d’inspiration collectiviste.

Le parti démocrate mérite mieux que cette perversion par l’idéologie. Il est vrai toutefois que les excès et l’insupportable cabotinage de Trump, l’injustice de ses décisions, son mépris pour les principes qui fondent le socle constitutionnel de l’Union ont fait naître et ont développé une aspiration plus forte et plus répandue à une meilleure répartition de la richesse d’une économie en pleine forme, en dépit d’une chute des cours à la bourse. Le « dégagisme » a fait des ravages en Europe et au Proche Orient, il a installé Trump à la Maison Blanche. Les Américains n’ont pas encore leurs gilets jaunes, mais, un clou chassant l’autre, ils pourraient être amenés à croire aux bienfaits de la révolution. Il appartient donc à l’opposition démocrate de contenir le mouvement qui s’annonce et de l’intégrer dans une campagne décente et saine. Les démocrates l’emporteront uniquement s’ils s’engagent à ramener le pays aux fondamentaux démocratiques qui ont fait des États-Unis la première puissance mondiale.

RICHARD LISCIA

 

 

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4 réponses à Le délire américain

  1. guinard dit :

    Très bonne analyse, comme d’habitude. C’est toujours un plaisir de vous lire M. Liscia. Merci.

  2. Michel de Guibert dit :

    Je crains au contraire qu’il il vaille mieux compter sur la justice que sur un basculement de l’opinion si l’on souhaite que l’Amérique se débarrasse de Trump.

  3. admin dit :

    LL (USA) dit :
    Trump se heurte au mur démocrate.

  4. DAVID S dit :

    Mais cette politique du n’importe quoi à l’air de marcher en économie.
    Et il semble encore populaire.

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