La mêlée change de nature

Agnès Buzyn
(Photo AFP)

Le phénomène le plus important, depuis la catastrophique journée du samedi 16 mars, est sans doute l’usage qu’en font les Républicains, décidés à disqualifier la majorité par des propos et des actes d’une agressivité exceptionnelle.

UNE FOIS de plus, les événements politiques sont imprévisibles et changent la donne du jour au lendemain. Les élections européennes apparaissaient comme un affrontement singulier entre la République en marche (REM) et le Rassemblement national (RN). Voilà que le parti de Laurent Wauquiez (LR), sans doute encouragé par une faible progression dans les sondages, prend la tête de l’opposition contre la majorité, un peu avec la vigueur des désespérés, mais aussi parce que le fiasco du 16 mars lui offre une occasion exceptionnelle de battre en brèche la position dominante de la REM. Stigmatisation de l’impéritie du pouvoir, appel à la démission du ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, qui a préféré limoger le préfet Delpuech et deux autres hauts fonctionnaires, appel à une nouvelle enquête parlementaire pour faire la lumière sur ce qui s’est passé samedi dernier, toute la panoplie des instruments de torture a été déployée par LR pour obtenir quelques points de plus lors du scrutin européen.

Castaner : il s’en est fallu de peu.

Si M. Castaner est encore en place, c’est parce que sa démission aurait contribué encore un peu plus à l’affaiblissement de l’exécutif. Rien ne dit d’ailleurs qu’elle n’aura pas lieu au prochain cahot d’un parcours semé de crevasses et d’embûches. On assiste à une triangulation des oppositions : la crise sociale donne des armes à LR, qui s’en sert avidement, mais dont les efforts, jusqu’à présent, ont permis à la droite non pas de faire chuter la REM dans les sondages, mais de prendre des suffrages au Rassemblement national. C’est ce qui explique que tous les ténors et divas de LR, comme un seul homme, sont tombés à bras raccourcis sur Emmanuel Macron et ses amis. Ils souhaiteraient en effet réduire le score de la REM, alors qu’ils parviennent en fait à creuser l’écart entre la REM et le RN.

Macron : crédibilité atteinte.

Compte tenu du tour extrêmement violent qu’a pris la campagne des européennes, il n’est pas impossible que la majorité sorte lessivée de l’affrontement. Face aux dégâts physiques et psychologiques provoqués par la folie des black blocs, l’exécutif a semblé impuissant et a offert des explications qui ne risquaient pas de convaincre les oppositions, toutes vouées à la chute du régime, LR compris. Le niveau de haine atteint par les différents acteurs de ce feuilleton grotesque a durci les stratégies des partis, prêts à la pire des démarches, pourvu que le gouvernement en pâtisse, tombe dans une ornière et ne puisse plus en sortir. Dans ce contexte, le président de la République s’efforce d’appliquer son programme, de manière à apparaître comme un chef d’Etat serein qui ne se laisse pas distraire par le grondement des foules déchaînées. Mais sa crédibilité est durement atteinte.

Buzyn : le mot de trop.

Le gouvernement, en outre, est le plus gros producteur de couacs de la Ve République. La lente et pénible réforme des retraites donne lieu à des dissonances au sein du pouvoir. La ministre de la Santé et des Solidarités, Agnès Buzyn, ayant mentionné la prolongation des carrières comme solution au déficit des  caisses de retraite, les syndicats, mais aussi Jean-Pierre Delevoye, l’homme chargé de la réforme, ont pris la réflexion « personnelle » de Mme Buzyn comme un coup de poignard dans le cœur. Le moindre mot devient sujet de scandale et de polémique, alors que l’équilibre financier des régimes de retraite est la condition sine qua non de la réforme. Mme Buzyn ayant dit la vérité, elle doit être clouée au pilori. Mais peu importe : ce seul incident montre comment  le pouvoir, qui venait d’opérer un redressement remarquable (mais non confirmé) dans les sondages, se retrouve aujourd’hui accablé non seulement par les émeutes du 16 mars, mais aussi freiné dans la poursuite de ses projets initiaux.

Un sondage Viavoice réalisé entre les 6 et 7 mars, soit neuf jours avant le 16 mars, montre que 86 % des Français se prononcent en faveur d’un changement de politique économique et sociale. On se demande à quoi pense cette très grosse majorité sinon à plus de dépense publique et moins de pression fiscale, donc à plus de déficit et plus de dette. 54 % estiment que la démocratie ne fonctionne pas bien. Chacun sait aujourd’hui que l’alternative à la démocratie, c’est Trump, le Brexit ou le néo-fascisme italien. Le vrai problème français, c’est que l’irruption de Macron dans le panorama politique français a été vécue par nos concitoyens comme un succès du « dégagisme ». Mais, comme son nom l’indique, le dégagisme est une drogue qui crée une accoutumance permanente.

RICHARD LISCIA

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6 réponses à La mêlée change de nature

  1. Sphynge dit :

    « Chacun sait aujourd’hui que l’alternative à la démocratie, c’est Trump, le Brexit ou le néo-fascisme italien. » Les alternatives étaient Trump ou Clinton, Leave or remain, Salvini ou des candidats déconsidérés. Trump, le Brexit ou « néofascistes italiens » ne sont pas démocratiques ? Ce sont simplement des opposants qui ont été élus et qui ne font courir aucun risque à la démocratie. Ils démontrent au contraire qu’elle est vivante et qu’elle permet aux peuples de choisir ses gouvernants ou ses traités. Jusqu’à présent au moins, ils n’ont pas fait moins bien que leurs prédécesseurs, et sur certains points, plutôt mieux. Jusqu’ici, ils n’ont pas déclenché de guerre (mais tentent d’arrêter celles de leurs prédécesseurs), de guerre civile, de catastrophe économique. On peut ne pas les approuver, craindre les conséquences de leurs politiques, mais les qualifier de non-démocratiques… Jusqu’à preuve du contraire, le termes sont excessifs sous votre plume en règle mesurée et raisonnable.

    Réponse
    Pur baratin. Tout le monde sait que les fascistes arrivent au pouvoir à la faveur d’élections parfaitement démocratiques. Ma plume mesurée et raisonnable ne m’empêchera jamais de combattre l’intolérance.
    R.L.

    • Sphynge dit :

      Eux intolérants ? Reportez-vous au fascisme (le vrai) : ça n’a pas grand chose à voir, à aucun point de vue. Sinon, l’intolérance dont ils sont eux-mêmes l’objet.

      Réponse
      Pas grand chose à voir ? Bolsonaro qui a crié à une femme : « Je te violerais si tu n’étais pas aussi moche » ou Trump qui explique à un journaliste comment mettre la main dans le giron d’une femme est une bonne approche de la séduction ? Ce sont juste deux petits exemples. Vous avez acquis l’art d’ignorer la monstruosité et, en plus, vous nous l’expliquez. Fascistes ils sont, et vous les soutenez en tant que tels. Votre tolérance s’applique exclusivement aux gens les plus dangereux de la terre.Car ils sont élus, n’est-ce pas, ce qui m’interdit de les critiquer. La discussion est close.
      R. L.

      • Michel de Guibert dit :

        … ou encore le commentaire de Jean-François Kahn à propos de l’affaire Dominique Strauss-Kahn au Sofitel de New-York : « Un troussage de domestique » tout au plus !

  2. mathieu dit :

    Les fascistes, les vrais (joliment ornés de croix gammées et chemises noires), les purs, visaient – et accomplissaient – l’élimination pure et simple, planifiée, d’un peuple ou d’une population, et cela très tôt, (relisons avec émotion les meilleures pages de Mein Kampf!). Les néo-fascites d’aujourd’hui n’en sont, pour l’instant, qu’à stopper l’immigration inter-continentale, et la confier généreusement à d’autres (la France, qui hérite depuis novembre de toute la filière nord-africaine ré-orientée vers l’Espagne et la Côte Basque), après avoir accepté, tout de même, dans la dernière décennie, plus que leur part !
    Réponse
    Pour évaluer un « vrai fasciste », vous attendez qu’il soit à l’oeuvre. Quel rapport entre la crise actuelle et l’immigration ?
    R. L.

    • MxMaf dit :

      Le rapport entre l’immigration et la crise actuelle est un rapport de cause à effet qu’il est de plus en plus difficile de cacher.

    • mathieu dit :

      Etats-Unis, Pologne, Italie, Royaume Uni (et son Brexit), Allemagne (et les grosses difficultés de Mme Merkel fragilisée par sa politique d’ouverture), France (et la constante poussée du RN), tout traduit la montée des populismes (on peut s’en désoler), nourrie prioritairement par le fait migratoire. on peut le constater…sans adhérer à ce mouvement de repli nationaliste généralisé.
      Quant au fascisme, l’avenir nous en préserve, je ne pense pas que l’Italie en soit là, mais vous avez raison, il faut rester à l’écoute des terribles leçons ce l’histoire.

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