L’Italie déchirée

Conte, carte ultime
(Photo AFP)

Le gouvernement de coalition Ligue-Cinq étoiles a éclaté hier sous la pression de Matteo Salvini, chef de la Ligue (extrême droite), qui réclame les « pleins pouvoirs » et souhaite de nouvelles élections à l’automne.

M. SALVINI est connu pour ses méthodes brutales mais, en l’occurrence, il veut simplement tirer les avantages d’une popularité atteignant 38 % qui lui permet d’envisager soit de gouverner seul, soit d’appliquer son propre programme à la faveur d’une coalition avec la droite. Il ne s’agit donc pas d’un coup d’État déguisé, mais d’une évaluation exacte du rapport de forces politique. L’ascension de la Ligue résulte d’une alliance avec Cinq étoiles qui n’a pu fonctionner pendant 14 mois qu’au détriment du mouvement populiste de Beppe Grillo, lequel se rend compte amèrement, aujourd’hui, des risques qu’il y avait pour Cinq étoiles s’associer avec un parti néo-fasciste.

Un autre mariage carpe-lapin.

Les élections anticipées qu’exige M. Salvini semblent correspondre à la conclusion logique qu’entraîne le constat de divorce, d’autant que les alternatives proposées dans la presse et par les partis politiques ne semblent pas plus viables que celle qui vient d’avorter : la gauche, incarnée par le Parti démocrate du sénateur Matteo Renzi, propose un mariage avec Cinq étoiles alors que les deux mouvements n’ont cessé de se combattre avec virulence jusqu’à présent. Par exemple, M. Salvini est favorable au projet de TGV Lyon-Turin, au même titre que l’opposition, alors que Cinq étoiles y est ardemment opposé au nom du respect de l’environnement. Cependant, M. Renzi se contente de mettre en place ses priorités : aussi aléatoire qu’elle soit, une coalition PD-Cinq étoiles serait préférable, dans une période où l’Italie est bousculée par ses dettes et par la très difficile mise en place de son budget pour 2020, à de nouvelles élections. Celles-ci, en consacrant la Ligue, achèverait le processus engagé par Salvini. Il consiste à permettre à la péninsule de faire cavalier seul non seulement en Europe, où elle renoncerait à toute contrainte financière, mais aussi en matière d’immigration : elle refuse de recevoir les migrants que déposent sur ses côtes les navires humanitaires chargés de passagers clandestins.

La carte unique du président de la République.

Matteo Salvini peut se targuer de disposer d’une cote de popularité qui lui ouvre les voies d’un pouvoir sans partage. Il ne ferait d’ailleurs que reproduire la méthode de Benito Mussolini  pour s’emparer des rênes du pays. Cependant, même à 38 %, le chef de la Ligue ne peut pas ignorer les démocrates qui refusent d’insulter l’avenir. Si la coalition Ligue-Cinq étoiles a pu durer plus d’un an, cela signifie qu’une autre coalition est possible. Elle ne l’aurait pas été sans la présence d’esprit de Giuseppe Conte, président du Conseil proche de Cinq étoiles, mais saisi, pendant la crise politique, par une aversion contre Salvini, qu’il a étrillé dans son discours devant l’Assemblée.  M. Conte, censé jouer les potiches, s’est révélé comme un politicien à la fois efficace et convaincu. Il devient l’ultime instrument du président de la République, Sergio Mattarella, pour faire refluer la vague brune. Non seulement il a été chargé d’expédier les affaires courantes, ce qui était inéluctable, mais il va explorer toutes les pistes du contre-projet démocratique, celui d’une coalition qui éviterait les élections anticipées.

En définitive, l’affaire devient celle du civisme : l’Italie est en danger. Avec un entêtement suicidaire, elle s’efforce de sortir der l’orbite vertueuse qui la protège, l’Union européenne et l’OTAN, pour aller chercher une grave mésaventure à la faveur d’alliances nouvelles mais périlleuses. Les démocrates italiens ne peuvent pas accepter un tel risque. Ils ne peuvent se livrer pieds et poings liés à un satrape qui mûrit son plan depuis longtemps et a préconisé naguère la séparation de la « Padavie ». L’homme qui voulait seulement le Nord et envoyer bouler le Sud et la Sicile, exige toute la péninsule désormais. L’Italie représente un cas passionnant de dérive de la démocratie. Il nous en expose les terribles fragilités et les dangers auxquels les civilisations les plus riches culturellement sont capables de s’exposer.

RICHARD LISCIA

 

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Une réponse à L’Italie déchirée

  1. admin dit :

    LL dit :
    38 % ? C’est tout de même un pourcentage effarant.

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