Un moment de réconciliation

Aux Invalides
(Photo AFP)

Après l’hommage populaire à Jacques Chirac, celui de la nation, peut-être le plus important. La présence de trois anciens présidents à la cérémonie de Saint-Sulpice aura été pour eux, et pour Emmanuel Macron, l’occasion d’une réflexion sur l’inévitable retraite qui suit une carrière de bruit et de fureur.

ON LAISSERA les thuriféraires de Chirac vider leur besace débordante d’éloges funèbres : ils ont le droit, dans le cadre de leur immense détresse, d’exagérer un peu. On laissera aussi les ronchons, qui se sont absentés ou n’ont pas voulu participer au carrousel funéraire, se distinguer par leur isolement : frustrés parce que le président décédé est couvert de gloire, ils resteront une exception. En revanche, ces quatre personnages,  Macron, Giscard, Sarkozy et Hollande auraient énormément de choses à se dire sur la conquête et l’exercice du pouvoir, dont ils savent qu’il est dur de l’obtenir et encore plus dur à gérer. Le premier constat, c’est qu’ils font comme tous les Français : aucun n’aurait consenti, malgré ce qui les différencie, à rester absent de la cérémonie. Il n’y a guère que Trump qui n’a pas cru bon d’envoyer à Bernadette Chirac un message de condoléances,  et encore moins d’arriver dare-dare à Paris, comme s’il gardait une dent contre Chirac, sous le prétexte qu’en 2003, la France s’est dressée avec vigueur contre le projet de George W. Bush d’envahir l’Irak, erreur stratégique lamentable qui a précipité le monde musulman dans le chaos. C’est Bill Clinton, un démocrate, qui représente les États-Unis, et il le  fera très bien.

Chirac vote Hollande.

Le deuxième constat, c’est que la mort efface les turpitudes de la vie. Une haine tenace a opposé Giscard à Chirac, qui a tout fait pour que Mitterrand fût élu en 1981. Il n’existe aucune affinité entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, mais une ressemblance entre leurs deux échecs. Et Macron ? Son « en même temps » s’élargit dans le temps et dans l’espace. Il a adopté une idéologie très spéciale, de droite et de gauche à la fois, il est donc le mieux placé pour rendre hommage à Chirac sans que Giscard ou Sarkozy ne puissent murmurer le moindre mot défavorable au président décédé. Le plus extraordinaire, c’est cette proximité inédite entre Chirac et Hollande, qui, à la faveur de l’ambiance chaleureuse de la Corrèze, sont devenus des copains. Personne ne peut oublier ce moment antérieur aux élections de 2012 où un débonnaire Chirac, les mains dans les poches et déjà quelque peu affaibli par l’âge, déclarait : « Si Alain  Juppé ne se présente pas, je voterai Hollande ». Et, devant le candidat à la présidence qui bafouillait de plaisir et de confusion à la fois, il a répété les mêmes mots.

Un temps pour tout.

N’était-ce pas déjà une forme de macronisme ? Est-ce que l’idéologie, à laquelle les socialistes restent tellement attachés, importe vraiment ? Un programme n’a-t-il pas une meilleure chance de réussir s’il est pragmatique ? Or c’est pour des nuances que ces géants de la politique se sont opposés. En 1981, la gauche n’a conquis le pouvoir que pour aller au bout d’une expérience qu’il a fallu ensuite amender. La semaine de 35 heures est l’idée la plus sotte qui ait jamais été mise en œuvre, non pas dans l’absolu, mais dans le contexte d’une France qui perdait sa compétitivité. Le pays est las des allers-retours, il ne croit plus ni à la gauche ni à la droite, ces deux testaments dont Macron se réclame. Souvenez-vous : Giscard a écarté Chaban, mais il a engagé des réformes de société irréversibles. Mitterrand, après avoir tout essayé, ne savait plus à quel saint économique se vouer. La réponse populaire aux réformes a fait reculer Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande qui, en deux ans, est passé d’une taxation confiscatoire à un plan de relance des entreprises. Tous les présidents ont été éblouis, au bout de leur tunnel philosophique, par la lumière aveuglante des réalités.

Même Macron peut se dire : Chirac a reculé sur les régimes spéciaux de retraite, il a reculé pour le CPE (contrat premier emploi, qui a embrasé les banlieues). Qu’est-ce qui m’oblige à faire mieux que lui? Mais il y a un temps pour tout, n’est-ce pas ? Il y a un temps pour faire et un temps pour défaire.

RICHARD LISCIA

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