Y a-t-il des trains en France ?

Philippe, gare de l’Est
(Photo AFP)

À la suite d’un accident qui a fait onze blessés dans les Ardennes, les salariés de la SNCF ont invoqué leur droit de retrait d’une manière massive qui a littéralement paralysé le trafic ferroviaire pendent le premier week-end de départ en vacances de la saison.

IL ÉTAIT une fois un pays où acheter un billet de train était un geste extraordinairement aléatoire. Les habitants de ce pays pouvaient toujours acquérir leur billet, ils n’étaient jamais sûrs de partir et encore moins de revenir. La moindre anicroche et l’on restait sur le quai. Ce pouvait être une grève sauvage, un droit de retrait, un différend entre les employés et la direction, n’importe quelle raison justifiait l’arrêt des trains. Dans ce pays, pourtant moderne et très attaché aux transports en commun, le seul remède consistait à ne pas se fier au service public. L’avion, la voiture personnelle, l’autocar étaient devenus de valables alternatives au train.

En arrière-plan, les retraites.

Les citoyens étaient furieux, bien entendu, et leur fureur n’égalait que celle des cheminots. De sorte que le gouvernement ne savait plus à quel saint se vouer : s’il prenait le parti des cheminots, il s’aliénait ses électeurs ; s’il penchait pour les voyageurs, il était bon pour une grève interminable. Ce n’était pas un gouvernement qui mâchait ses mots. Le Premier ministre commença par critiquer sévèrement les employés de la compagnie ferroviaire, en disant qu’ils avaient transformé le droit de retrait en droit de grève, ce qui n’était pas conforme aux règles régissant les rapports entre la direction et ses employés. Il exigea le retour immédiat au travail de ceux qui s’étaient spontanément soulevés et avaient d’ailleurs prévu une grève nationale le 5 décembre suivant. Mais les principales victimes de la grève, les clients de la compagnie, devinaient bien que, derrière la révolte, il n’y avait pas que l’accident des Ardennes. Il y avait un ras-le-bol des salariés, qui luttaient vent debout contre la perspective d’une réforme des retraites qui eût mis un terme au régime spécial dont ils bénéficiaient.

L’amertume de tous.

Mais comment ne pas réduire les avantages octroyés par le régime spécial, à l’heure de la modernisation, de la rentabilité et de la concurrence avec des sociétés privées qui proposaient un service identique, probablement plus régulier et certainement moins cher ? criaient les partisans de la réforme. Si massif que fût le mouvement, il commença à se déliter au terme d’un week-end, ce qui montre que la détermination syndicale est parfois un colosse aux pieds d’argile. Pour autant, le public pouvait-il faire confiance désormais à des personnes qui sont plus intéressées par leur statut social que par le respect de leur clientèle ? Le lecteur devinera sans peine que tout ça n’est qu’une question de point de vue. Le gouvernement avait  beau renouveler sans cesse ses promesses de prendre son temps, de ne pas toucher aux pensions actuelles, de n’envisager leur réduction que pour une époque encore lointaine, les cheminots, remontés à bloc par des syndicats intransigeants, en avaient marre. Marre de voir des nuages s’accumuler à l’horizon, alors que leur seul moyen de pression, c’est la grève. Marre de s’entendre dire qu’ils bénéficiaient d’un statut de privilégiés. Marre d’un travail pénible, aux horaires décalés dont ils ne voyaient la compensation que dans un départ prématuré à la retraite.

Comme tous les différends sociaux, celui-ci laissa un goût amer aux pouvoirs publics comme aux salariés, qui attendaient, comme dans une chapelle ardente, le jour de leur revanche, le 5 décembre. Les vacanciers finirent pas partir. La compagnie jura qu’elle rembourserait sa clientèle lésée. Les cheminots jurèrent qu’on ne les y reprendrait plus. Les voyageurs firent des plans alternatifs pour leurs prochaines vacances. Ah ! Nous possédons le système ferroviaire le plus efficace du monde, clamèrent les dirigeants du pays. Dans la mesure où il marche.

RICHARD LISCIA

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