La réforme sort du coma

Laurent Berger
(Photo AFP)

Après avoir rencontré les représentants des syndicats, le Premier ministre, Édouard Philippe, a annoncé que la réforme des retraites serait appliquée mais qu’il était prêt à négocier les points du texte que ses interlocuteurs considèrent comme inacceptables, notamment la fin des régimes spéciaux.

M. PHILIPPE a décidé de se hâter lentement. Promis, la réforme aura lieu, mais il prendra tout son temps. Il ne souhaite pas « stigmatiser » les personnes bénéficiant des régimes spéciaux, ce qui signifie sans doute que les pouvoirs publics attendront que tous les bénéficiaires partiront à la retraite avec leurs avantages acquis avant que les nouveaux entrants soient recrutés à des conditions très différentes, c’est-à-dire moins favorables. Le recul de l’âge de départ sera également négocié. Le gouvernement n’ayant pas totalement éliminé cette piste, qui a annulé le soutien que lui apportait la CFDT, pourrait, sur ce point précis, faire encore des concessions. Tout se passe comme si le pouvoir tentait davantage de désamorcer la crise sévère et longue qui commence le 5 décembre prochain que de mettre en œuvre la « mère de toutes les réformes ».

Une relique des Trois Glorieuses.

Dans ce bras-de-fer avec les syndicats apparaît la politique possible,  moins controversée, qu’Emmanuel Macron peut obtenir. Mais c’est un tissé criblé de trous. La continuation des régimes est celle d’une grave injustice, vivement ressentie par tous ceux qui n’en bénéficient pas. Le premier objectif de la réforme devrait être d’en finir avec cette bizarrerie française, née à l’époque des Trois Glorieuses et que le pays traîne depuis 45 ans sans espoir de s’en débarrasser. Car il faut rappeler que les fonds requis pour les retraites des cheminots ou des salariés de la RATP sont payés par les contribuables. De la même manière, le départ plus tard à la retraite reste une notion qui fait bondir les syndicats, y compris la CFDT réformiste, alors que l’espérance de vie en France et la diminution continue du nombre d’actifs exigent que les carrières soient prolongées. La seule vraie réforme serait une adaptation systématique, au terme de chaque année, de l’âge de la retraite aux besoins de financement.

Les syndicats veulent montrer leur force.

Les concessions du pouvoir seront accordées en pure perte. Les syndicats tiennent, de toute façon, à montrer leur force à partir du 5 décembre et continueront à  réclamer l’annulation pure et simple de la réforme, la revendication la plus ferme, la moins acceptable, la plus à même d’augmenter la tension entre les cheminots et les passagers jouant en faveur de la prolongation du conflit. M. Philippe peut ramener la CFDT à de meilleurs sentiments car son secrétaire général, Laurent Berger, est compatible avec les réformes, même s’il court le risque d’être désavoué par sa base : aujourd’hui, le plus intransigeant est l’homme que vénère le peuple, le moins-disant celui qu’il déteste. En outre, le gouvernement, depuis des mois, a baladé les organisations syndicales, de sorte qu’elles se méfient de lui et n’écouteront que le message de leur base. On souhaite au Premier ministre une habileté dans l’action et une subtilité de langage dont on n’est pas sûr qu’il les possède réellement. Tout va se passer au début de l’année prochaine, avec, certes, cet avantage d’avoir alors un peu détendu l’atmosphère avant de se livrer au jeu du donnant-donnant.

Des vérités indicibles.

La France est-elle un pays à part, qu’il est impossible de réformer ? Le gouvernement, comme toujours, a commis beaucoup d’erreurs de communication, ce qui lui a valu une tension croissante et la nécessité, pour lui, de revenir piteusement sur ce que le haut commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, avait annoncé. À la décharge du pouvoir, je m’empresse de dire qu’il a accompli beaucoup de réformes en deux ans et demi, chacune de ces réformes ayant entraîné des mouvements sociaux de grande ampleur, les gilets jaunes étant presque parvenus à faire chuter le régime. La réforme des retraites était dans tous les esprits avant novembre 2018, date du commencement de la crise des gilets jaunes. On peut considérer que cette crise est à peu près résorbée, mais les Français sont inquiets devant tant de changements dont ils ont l’impression qu’ils vont les appauvrir. Bien entendu, en l’absence de réforme, c’est le système lui-même qui est menacé. La particularité nationale est qu’il y a ici des vérités indicibles. Toute la politique du gouvernement s’appuie d’ailleurs sur des contraintes qui échappent à son influence : la mondialisation, le creusement alarmant des inégalités, l’absence de productivité, les effets cruels d’un libéralisme qui produit parfois le pire , l’insécurité professionnelle permanente, à tous les âges. De sorte que les jeunes qui entrent en activité forment la génération la plus sceptique de l’histoire : le présent leur est si dur qu’ils ne peuvent prévoir qu’un avenir encore plus difficile.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à La réforme sort du coma

  1. Laurent LISCIA dit :

    Sans compter le changement de climat qui réduira d’autant plus la marge de manoeuvre économique.

  2. mathieu dit :

    Tout est, hélas, bien vu ! La chute du régime ? Pas sûr que nous en soyons si près. Beaucoup de sédition, de vacarme, de « chienlit », très peu de grèves ni d’arrêt d’activité; aucun fusible gouvernemental ni parlementaire, n’a même sauté! En revanche, retour de l’ancien monde, on s’est remis à dépenser les milliards que nous n’avons pas…ou que nous pensions ne pas avoir!

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