Drôle de résolution

Sylvain Maillard
(Photo AFP)

Par 154 voix pour et 72 contre, l’Assemblée nationale a adopté hier soir une résolution associant l’antisionisme à l’antisémitisme.

LE TEXTE avait été présenté par Sylvain Maillard, député de la République en marche, par ailleurs chef du groupe sur l’antisémitisme. Sa démarche partait du meilleur sentiment : ces dernières années,  l’antisémitisme se recouvrait des oripeaux de l’antisionisme, de sorte que la dénonciation d’Israël est devenue un leitmotiv efficace pour mieux dénigrer les juifs dans leur ensemble. Mais la résolution de M. Maillard a rencontré de vives résistances, notamment à la REM, dont 22 élus se sont abstenus, et elle n’a pu être adoptée qu’avec le concours des Républicains, dont le député Julien Abad, fier de « jouer les pompiers de service ». La gauche a voté contre (84 suffrages) et Jean-Luc Mélenchon, de la France insoumise, a dénoncé une « volonté de provocation qui sidère », alors que Guillaume Larrivé (LR) critiquait les « relents d’un islamo-gauchisme à l’Assemblée ».

Cause palestinienne et djihadisme.

Soulever la question, qui reste posée de toute façon, écrire un document qui n’a pas valeur de loi, soumettre les élus à un dilemme n’était peut-être pas indispensable au moment où la France, affreusement divisée, traverse une nouvelle et sévère crise sociale. Il s’agit d’un sujet particulièrement émotionnel où se mêlent la politique étrangère, la défense des Français juifs, la politique israélienne. Incontestablement, le problème palestinien a entraîné à gauche, mais surtout à l’extrême gauche, un soutien à la cause palestinienne dans un contexte où le djihadisme ne cesse de porter des coups aux sociétés occidentales. La France n’est pas la seule à hésiter entre son désir de justice pour les Palestiniens et son aversion pour le terrorisme. En Grande-Bretagne, la plus grande suspicion pèse sur le Labour Party, dont l’homme-lige, Jeremy Corbyn, se déclare publiquement hostile à Israël et favorable aux musulmans, notamment ceux qui prônent la lutte armée et la violence sous toutes ses formes. Pour M. Corbyn, de telles prises de positions risquent de lui coûter la majorité lors des élections législatives anticipées le 15 décembre prochain.

La tribune des 127.

Emmanuel Macron, pour sa part, a récemment exprimé sa volonté d’associer l’antisionisme à l’antisémitisme. Cent-vingt sept intellectuels du monde entier, dont beaucoup sont juifs, se sont élevés, dans une tribune publiée lundi par « le Monde » contre le projet de résolution français. Leur idée est limpide : la défense des juifs et d’Israël ne passe pas par un soutien sans bornes à un gouvernement israélien, celui de M. Netanyahu ayant poursuivi et développé la colonisation tout en refusant de négocier avec les Palestiniens, avec les crises et la violence qu’entraîne son attitude. C’est l’argument derrière lequel s’abrite l’ultra-gauche qui, pour mieux confondre Israël, ne condamne pas l’islamisme. Le député Meyer Habib (UDI-Agir) a affirmé que « la détestation d’Israël est le nouvel antisémitisme ». Chacun se souvient d’ailleurs que, lors d’une manifestation de gilets jaunes à Paris, un voyou s’en est pris à l’académicien Alain Finkielkraut et l’a traité de « sale sioniste », ce qui, dans sa bouche signifiait « sale juif ». L’homme n’a été condamné qu’à une peine légère avec sursis. C’est le prototype de l’antisioniste déclaré qui vomit son antisémitisme.

Une intuition.

La plupart des gens de bonne volonté s’opposent à M. Netanyahu, mais ne souhaitent pas pour autant participer à l’Israël-bashing. Plutôt qu’une résolution qui restera lettre morte, la réaffirmation du droit d’Israël à l’existence aurait été plus utile, avec l’avantage de placer les islamo-gauchistes, et ils sont nombreux et malfaisants, au pied du mur. M. Maillard a eu une excellente intuition quand il a constaté que l’antisionisme est le faux-nez de l’antisémitisme et qu’il permet les mêmes insultes, les mêmes violences verbales et les mêmes comportements délictueux. Mais, d’une certaine manière, la résolution porte atteinte à la liberté d’expression. Dans un pays où l’on prononce les pires monstruosités contre un chef de l’État dont certains lui ont publiquement souhaité de « crever », il serait surprenant que l’on ne puisse pas critiquer la politique générale d’un Premier ministre étranger. De même que le rejet de l’antisionisme, répréhensible en soi, cache des arrière-pensées qui ne trompent personne, sa mise au pilori se résume à le mettre au service du programme contestable de M. Netanyahu. Cependant, les vrais démocrates doivent se rappeler qu’entre le risque de nuire encore plus à un groupe qui continue à être persécuté et le risque de soutenir une politique discutable, leur choix doit être vite fait.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à Drôle de résolution

  1. Michel de Guibert dit :

    Je ne sais comment il faut interpréter votre conclusion qui semble contredire l’économie générale de votre article : « Cependant, les vrais démocrates doivent se rappeler qu’entre le risque de nuire encore plus à un groupe qui continue à être persécuté et le risque de soutenir une politique discutable, leur choix doit être vite fait. » ?

    Réponse
    L’alternative est pourtant très claire : si Israël doit périr pour que le gouvernement actuel change, je ne suis pas d’accord. Peut-être, et je le comprends fort bien, pensez vous qu’il n’y a pas de finitude à l’État français. La France, effectivement est éternelle. Israël en revanche n’a que 70 ans et s’il perd une guerre, il disparaît. Je suis en désaccord profond avec la politique actuelle d’Israël, mais s’il faut qu’Israël soit rayé de la carte pour que les Palestiniens soient satisfaits (et c’est très exactement ce qu’ils demandent pour la plupart), alors, bien entendu, je suis pour le droit d’Israël à l’existence. D’autant que Netanyahu n’est que l’avatar d’un stupide scrutin à la proportionnelle. Il n’y a aucune contradiction avec le reste du texte.

    • Michel de Guibert dit :

      Merci pour votre éclaircissement, je ne comprenais pas ainsi votre dernière phrase, mais je suis bien sûr en accord avec vous et ce que vous développez en réponse.
      L’antisionisme historiquement a revêtu un caractère et une signification fort différente de l’antisémitisme (il était même le fait de certains courants juifs, laïques ou religieux).
      Le problème est qu’aujourd’hui l’antisionisme est devenu souvent, comme vous le dites, le faux-nez de l’antisémitisme.
      PIerre-André Taguieff, à ce sujet, écrit fort justement que « l’antisionisme radical ou absolu » est bien la plus récente forme historique observable de la judéophobie ou de l’« antisémitisme ». L’Etat d’Israël est critiqué et condamné non pas pour ce qu’il fait, mais pour ce qu’il est : c’est la définition même du racisme. Il s’agit d’une haine ontologique visant le seul Etat d’Israël. En témoigne le fait que, dans les manifestations, les « antisionistes », s’indignant de « la politique de Nétanyahou », crient « Mort à Israël!», alors que les anti-Erdogan ne défilent pas en criant « Mort à la Turquie ! » et que les anti-Maduro se gardent de scander « Mort au Venezuela ! ».
      Pour autant, je ne suis pas sûr que la meilleure façon de lutter contre cette nouvelle forme d’antisémitisme qu’est l’antisionisme soit de voter des résolutions assimilant les deux…

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