La grève, fin en soi

Laurent Brun, CGT
(Photo AFP)

Cette grève est dure, elle sera permanente pendant des jours et des semaines, elle provoquera beaucoup de dégâts, mais elle n’est pas comparable à celle de 1995. Les syndicats, et plus particulièrement la CGT, ont obtenu un succès, pas un triomphe.

CE CONSTAT n’enlève rien aux erreurs commises par le gouvernement, dont on n’est pas sûr qu’il présentera demain (« à midi, pas une minute de plus ou de moins », dixit le Premier ministre) tout l’éventail de ses mesures. Il ne peut pas présenter un projet qui satisferait tous les salariés du public et du privé, sauf à renoncer à la réforme ; il est probable, mais pas sûr, qu’il ne fournira pas la valeur du point, ce qui laissera ouvert le débat pour des années ; les Républicains préconisent leur mesure-phare, la prolongation des carrières, qui est effectivement le meilleur moyen de faire des économies, mais c’est la seule mesure dont Emmanuel Macron ne veut pas, car il pensait qu’elle rendrait la réforme inacceptable ; il est question d’un bonus pour certaines professions, notamment les employés de la SNCF et de la RATP, déjà rejeté par les syndicats ; hier, sur la Cinq, Laurent Brun, représentant CGT des cheminots,  a dénoncé le refus du président de négocier alors que son patron,  Philippe Martinez, réclame la suppression pure et simple de la réforme. Est-ce là une façon de négocier ?

Justice sociale et calcul politique.

On nage donc dans une incompréhension totale entre les parties : l’exécutif voit la réforme, fût-elle quelque peu amendée, comme un cap à franchir sur le chemin du second mandat ; les organisations syndicales la voient comme une bataille qu’ils doivent remporter à tout prix, au nom de leur représentativité, au nom de la survie du mouvement syndical, au nom de la justice sociale. Jean-Paul Delevoye répète que le statu quo est « insoutenable », que, sans la réforme, le niveau des pensions baissera forcément, l’opposition crie que l’injustice vient seulement des idées du gouvernement. Aucune des conditions indispensables à l’apaisement de la crise n’existe, pour une raison claire et simple : la grève et les manifestations sont devenues une fin en soi, l’objectif final, l’invention du mouvement permanent. Chez le président de la République, la tentation est donc grande d’aller de l’avant et de s’en tenir au fonctionnement du vote majoritaire, en laissant la crise pourrir jusqu’à ce que les usagers se révoltent contre les grévistes.

La couleuvre de trop ?

Ce ne serait pas une piste raisonnable, et Édouard Philippe, qui fait de la soft politique,  n’est pas homme à la suivre. De sorte que le mal infligé au pays par le mouvement est plus grand que le mouvement lui-même ; que la crise traduit plus de mécontentements inspirés par Macron qu’une aversion irrépressible pour la réforme ; que la distinction entre politique et social n’existe plus, qu’ils se confondent pour nous offrir une pâtée amère et répugnante. Ce qui est en cause, c’est la trop grande confiance que M. Macron a en lui-même. Échaudé par la crise des gilets jaunes qu’il a éteinte en l’arrosant d’argent, il a cru qu’il pouvait, pendant son mandat, revenir à la charge, faire avaler une autre couleuvre à un peuple bombardé par une propagande propre à semer le doute chez le plus conciliant des acteurs de la crise. Non seulement, il aurait dû attendre, mais il n’a pas dominé le problème, tiraillé qu’il était entre une ministre, un haut-commissaire et un Premier ministre. Depuis six mois, l’exécutif a été incapable de présenter son projet, de sorte qu’un document inexistant a entraîné les réactions les vives, les plus inutiles et les plus fallacieuses.

L’erreur a donc été d’aller trop vite, même s’il était nécessaire de confronter le pays à l’une de ses plus sérieuses responsabilités ; d’avoir menti par omission en quelque sorte ; de ne pas avoir évalué le contentieux accumulé en moins de trois ans entre le peuple et le pouvoir ; d’avoir attendu la fin de l’année, d’avoir attendu demain pour dire ce qu’il y a dans la réforme, dans un pays qui voit rouge même si le toréador est privé de sa cape, un pays survolté, qui ne connaît pas toujours son bonheur et attribue ses maux fictifs à une démocratie qu’il considère comme dévoyée. Toutes les conditions de l’affrontement étaient réunies depuis l’automne. L’hiver sera long.

RICHARD LISCIA

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à La grève, fin en soi

  1. castaing dit :

    « L’immobilisme est en marche, rien ne saurait l’arrêter ». Edgar Faure.

  2. chretien dit :

    Parfait votre article!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.