Le fracas, puis la réflexion

À Lille, lundi dernier
(Photo AFP)

Il n’y a rien, dans cette immense mêlée génératrice de croissance en berne, à quoi le gouvernement ne pût s’attendre. Il n’y a rien, dans les hurlements de fureur venus de toutes les catégories professionnelles, policiers compris, des syndicats, CFDT comprise, et des partis de l’opposition, LR compris, qui ne corresponde à autre chose qu’une mise en scène, ultra-pénible pour les citoyens, mais forcément signe avant-coureur d’une négociation.

ILS feront ce qu’ils disent. Ils bloqueront le pays jusqu’à Noël, et au-delà si le gouvernement ne retire pas sa réforme. L’exécutif a choisi de crever l’abcès. Plutôt que d’engager une réforme elle-même réformable dans moins de dix ans, il tente de mettre en place un système capable de résister aux aléas de la croissance. C’est ambitieux, c’est courageux, c’est louable, mais cela veut dire qu’il faut souffrir à présent pour ne plus assister, dans l’avenir, à de nouveaux chocs sociaux sur la retraite. Ce qui nous intrigue le plus, c’est que la CGT réclame l’abandon de la réforme après avoir dénoncé pendant des décennies le statu quo. Est-ce que cela signifie que les 42 régimes actuels satisfaisaient tout le monde, CGT comprise ? On est moins perplexe devant les accusations proférées par Laurent Berger, chef de la CFDT. Il avait exigé que l’on ne touche pas à la date de départ à la retraite. Édouard Philippe, pour toute réponse, lui a fait savoir que partir à 62 ans, c’est subir une décote dans le calcul de la pension.

Un pari risqué.

Il est donc logique que M. Berger se fâche : lui aussi doit rendre des comptes à sa base. Il a rejoint la prochaine journée d’action sans préconiser la grève. Une subtilité qui, soyons sérieux, laisse une porte entre-baillée pour un éventuel appel : « Hello, Laurent ! ». Peut-être suis-je excessivement optimiste. Il demeure que le mouvement social ne peut se perpétuer qu’au prix d’une guerre civile. Le peuple ne s’y engagera que si le pouvoir commet des crimes d’État. Une réforme, quel que soit son contenu, ne saurait provoquer un tel malheur. Celle-ci est tellement complexe, elle offre assez de points positifs, elle nourrit tant de perplexité qu’il faut beaucoup de temps pour la digérer. Le plus drôle, c’est que les victimes de la crise, les gens bloqués dans des gares sans train ou aux arrêts de bus, commencent à être très mécontents, mais c’est au gouvernement qu’ils en veulent, pas aux syndicats. De sorte que le Premier ministre a pris hier un pari particulièrement risqué. Encore que, si on se souvient de 1995, il existe des conflits qui n’empêchent pas la réélection du président sortant.

Une sage-femme au secours.

Ce qui milite pour la négociation, c’est l’impossibilité, pour le pouvoir, de faire machine arrière. M. Macron ne peut pas abandonner la réforme sans vider le reste de son mandat (plus de deux ans) de son contenu. L’enjeu, pour lui, se situe à un étiage encore plus élevé que pour les syndicats, dont les chefs tentent seulement (mais c’est important) de sauver leur autorité. Dès lors que le pire est inimaginable, on sait déjà que la France accouchera de la réforme après des semaines (des mois ?) de douloureuses contractions. Je ne sais pas qui pourrait jouer le rôle de la meilleure sage-femme, mais sa présence serait utile. Il faut une médiation dans cette affaire. Car elle pourrait s’enliser si la majorité et l’opposition, le gouvernement et les syndicats ne se disent pas leurs quatre vérités sans contourner les tabous.

C’est une question d’argent, bien sûr.

La CFDT s’élève par exemple contre l’idée que la réforme ne doit pas être de « nature budgétaire ». Autrement dit, peu importe le coût de la réforme. Mais c’est insensé ! On ne peut pas adopter un système qui, infailliblement, augmentera la dette nationale, laquelle atteint déjà 100 % de la production nationale brute. Cessons de jouer les enfants gâtés de l’Europe. Cessons de croire que nous pouvons nous distinguer des autres pays européens, comme si les Français ne devaient jamais faire de sacrifices. Il ne faut pas oublier que si nous supportons allègrement notre dette, c’est grâce à l’euro, tellement stigmatisé naguère par ceux-là mêmes qui criaient qu’il nous conduirait à la faillite. C’est l’Allemagne qui, avec ses excédents, défend la France, l’Italie et la Grèce. Nos relations avec Berlin seraient bien meilleures si, à notre tour, nous commencions à éponger la dette.

Certes, ce n’est pas le genre de discours que peuvent entendre les piquets de grève, remontés comme jamais, et qui ont envie de s’offrir une révolution. Mais la révolution aussi garantirait l’effondrement de nos finances. Les Français ne veulent pas faire ce qu’ils sont contraints de faire par des chiffres têtus, ignorent la discipline, préfèrent le grand bazar. Comme s’ils n’étaient pas assurés de perdre, au jeu de la bataille, ce qu’ils ont conquis si durement.

RICHARD LISCIA

 

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3 réponses à Le fracas, puis la réflexion

  1. Sphynge dit :

    Pour n’avoir pas, comme la Suède, passé 10 ans à préparer la réforme de la retraite unique par point, on se trouve dans la situation décrite ici. La situation actuelle de la retraite en France ne presse pas plus que ça, l’avis est aujourd’hui unanime. Mais il est vrai qu’il ne reste plus à l’actuel président que 6 ans pour la mener à son terme.

  2. Michel de Guibert dit :

    « La France accouchera de la réforme après des semaines (des mois ?) de douloureuses contractions. Je ne sais pas qui pourrait jouer le rôle de la meilleure sage-femme, mais sa présence serait utile. »
    Une femme a accouché hier d’une petite fille dans le RER D à la station Villeneuve-Saint-Georges (sans sage-femme) ; la mère et l’enfant se portent bien, la vie a le dessus 🙂 !

  3. Alan dit :

    « Le plus drôle, c’est que les victimes de la crise, les gens bloqués dans des gares sans train ou aux arrêts de bus, commencent à être très mécontents, mais c’est au gouvernement qu’ils en veulent, pas aux syndicats. » : beaucoup d’entre nous en veulent aux grévistes et aux syndicats, sans l’ombre d’une hésitation.

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