La culture de la drague

Maryvonne del Torchio et Didier Gailhaguet
(Photo AFP)

La démission de Didier Gailhaguet, président de la Fédération des sports de glace, à la suite du scandale des agressions sexuelles contre des patineuses, n’est pas le dernier mot de l’affaire, choquante à tous égards et suivie de révélations qui aggravent le débat.

M. Gailhaguet a été aussitôt remplacé par Maryvonne del Torchio, dont le premier geste, paradoxalement, a consisté à exonérer son prédécesseur, qui n’est parti qu’après avoir traité la ministre des Sports, Roxana Marineanu, de « dictateur ». Étant d’origine roumaine, a-t-elle répondu, je sais ce qu’est une dictature et la France n’en est pas une, tandis que M. Gailhaguet estimait qu’il avait pris une « décision sage » : on n’est jamais si bien servi que par soi-même. C’est un livre publié par l’ancienne championne de patinage artistique, Sarah Abitbol, un témoignage émouvant et sincère, qui a mis le feu aux poudres, non seulement dans les sports de glace mais dans la plupart des disciplines sportives. Aussi peut-on s’attendre à de nouveaux scandales que les dirigeants du sport français ne pourront pas balayer sous le tapis.

Un abus de pouvoir.

La France ne fait pas exception à une tradition sinistre qui empoisonne le sport dans de nombreux pays et exige le courage dont a fait preuve Mme Marcineanu. Dans le cas du sport, l’agression sexuelle, quand ce n’est pas le viol pur et simple, résulte aussi d’un abus de pouvoir, le coach ayant sur ses élèves, naïvement confiés à lui par leurs parents, une autorité qu’ils n’ont pas à discuter. Que certains (mais pas tous, car il ne faut surtout pas généraliser) se soient permis même l’impensable mérite une sanction que la prescription annule. Mais la justice n’est pas autre chose que la recherche de la vérité et il faut qu’elle soit établie. Pour sa défense, M. Gailhaguet déclare qu’il a réagi en leur temps à un certain nombre de révélations. Il n’est pour rien dans les agressions subies par les jeunes victimes, mais il n’a pas su ou voulu y mettre un terme en frappant le mal à sa source.

Jusqu’à présent, la tendance générale de la société française était de relativiser ce qu’elle considérait peut-être comme des péchés mignons. Il n’empêche que toute demande de faveurs adressée, pression physique à l’appui, par un homme à une femme, mineure de surcroît, doit être bannie. Non pas que les relations sexuelles doivent être gouvernées par une autorité supérieure qui risque de confondre amour et sexe, libido et tendresse, attirance et pulsion. Mais l’adolescence est la phase ultime de l’enfance qui doit être préservée comme un trésor parce que, par définition, elle ne dure pas, elle est fugace et elle est fragile.

Une coalition des bonnes volontés.

Défendre les filles et les femmes contre les corps musclés et impérieux des hommes plus mûrs représente donc un devoir social, qui semble avoir échappé à M. Gailhaguet. Ce procès que lui fait l’opinion publique d’aujourd’hui indignerait Pierre Choderlos de Laclos qui nous a démontré, avec un talent dangereux, qu’une femme, au bout du compte, ne résiste pas aux avances masculines et que, pour qu’elle se rende, il faut seulement un peu de temps. L’esprit français, capable d’innovations admirables, est marqué encore maintenant par la culture de la séduction. Vous aurez tous remarqué la douceur des propos du séducteur, ses manières particulièrement courtoises (et hypocrites), la manifestation d’un amour incontrôlable qui ferait de lui l’esclave de sa proie. Il n’en est plus rien aujourd’hui : la drague se résume à des insultes, à l’usage de la force, à la violence. C’est insupportable pour les victimes et pour les hommes, et ils sont nombreux, qui demeurent incapables de se conduire de cette manière et ne sont pas moins scandalisés que les femmes.

D’une saine coalition entre elles et eux naîtra le début de la formation d’une société plus policée. Jusqu’à présent, il y avait dans le comportement masculin l’ingrédient d’un libertinage associé aux beaux discours, donc au savoir. Aujourd’hui, le politiquement correct a changé de camp. Ah, c’est sûr, le règlement peut faire autant de ravages que le laxisme. C’est pourquoi aucune réforme ne peut être limitée par le temps. Il faut sans cesse remettre le métier sur l’ouvrage.

RICHARD LISCIA

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