Le cauchemar syrien

Char turc à Idlib
(Photo AFP)

Le président turc, Recep Yassip Erdogan, utilise la guerre civile syrienne, vieille de dix ans, comme un terrain propice à la liquidation des Kurdes qui vivent en grand nombre en Turquie et qu’il considère comme des terroristes. Son obsession vient de conduire à une « bavure » qui va laisser des traces.

ERDOGAN n’écoute que son sectarisme  (ou son instinct bestial) et, depuis plusieurs mois, il a tiré avantage d’un repli américain dans le nord de la Syrie pour lâcher ses troupes, qui sont allées conquérir la bande frontalière entre la Syrie et la Turquie. Il ne l’a pas fait sans indisposer à la fois le dictateur syrien Bachar Al Assad, le président russe, Vladimir Poutine, et les ayotallahs iraniens. Le fond de la querelle s’exprime en une simple question : qui c’est, le chef ? La Russie et l’Iran, naguère objectivement alliés de la Turquie, ont exprimé leur mécontentement en tentant de refouler les forces turques dans la région d’Idlib. Erdogan ne comprend pas les avertissements des puissances qui, bien qu’elles ne lui soient pas hostiles, lui rappellent les limites de son action militaire. Idlib est un cauchemar, c’est le microcosme de la Syrie, pays ravagé par la guerre civile, 500 000 morts, civils pour la plupart, 10 millions de personnes déplacées dont de très nombreux exilés à l’étranger. Sans compter les blessés à vie, les femmes et les enfants, des destructions indescriptibles. On ne peut pas assister à ce spectacle révoltant, lieu de toutes les atrocités humaines, sans s’indigner. Sauf que notre indignation est tellement sollicitée et les faits sont tellement répétitifs qu’on finit par parler d’autre chose.

On est toujours le terroriste de l’autre.

Dans ce tableau apocalyptique, Erdogan, buté comme pas un, a tenté de laminer la région d’Idlib. Ses troupes régulières sont aidées par des milices. Poutine et Assad l’ont prévenu, il a fait le sourd. Résultat : la Russie a lancé des bombardements qui ont fait plus de trente morts parmi les soldats turcs. Riposte d’Erdogan : une vingtaine de morts parmi les milices pro-Assad. Le plus curieux, dans cette affaire, où la répétition des crimes demeure lancinante, c’est que tout le monde se bat dans la région au nom de la lutte contre le terrorisme : Assad se dit victime du terrorisme et souhaite simplement le rétablissement de l’ordre ; Poutine veut éliminer les djihadistes qui pullulent en Syrie ; Erdogan se bat contre les Kurdes qu’il a qualifiés de terroristes alors qu’ils représentent la seule force locale qui les combatte. La première des choses, avant même de condamner l’une ou l’autre de ces parties, c’est de rappeler qu’il ne suffit pas de désigner un terroriste pour qu’il en soit un. La deuxième, c’est l’hypocrisie de tous les discours  faussement humanistes que prononcent des dirigeants qui sont, tous les trois, des dictateurs.

La fin de tous les scrupules.

Le vrai terroriste n’est donc pas l’homme ou la femme qui se bat, les armes à la main, contre un pouvoir illégal. Les Kurdes ont largement aidé les Occidentaux à vaincre les djihadistes qui sévissaient en Syrie. Ils en détiennent des centaines. Bien qu’ils aient été lâchés (mais pas complètement) par les Américains, ils continuent à guerroyer dans le nord-est du pays. Le vrai terroriste pourrait bien être celui qui se maintient au pouvoir avec les moyens de la force militaire, sans se préoccuper du bien-être de ses « sujets ». Ce pourrait bien être celui qui envoie son aviation bombarder indistinctement civils, soldats turcs et djihadistes ; ce pourrait bien être Erdogan dont le rouleau compresseur continue à faire des ravages dans une population déjà très affaiblie, épouvantée par le danger, privée d’eau et de nourriture. La Syrie n’est pas seulement un cauchemar, c’est un scandale humanitaire, c’est le lieu et le moment historique où disparaît l’humanité, c’est la fin de tous les scrupules dans un monde qui a connu des génocides mais n’a jamais trouvé le vaccin contre la maladie. Trois ou quatre hommes (Erdogan, Poutine, Assad et l’ayatollah Khamenei) peuvent-ils décréter l’enfer en Syrie et ne rendre de comptes à personne ? Ces hommes qui se revendiquent tous de Dieu (mais Assad à un moindre degré) ne l’ont-ils pas déjà assassiné dans la région d’Idlib ?

RICHARD LISCIA

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6 réponses à Le cauchemar syrien

  1. Laurent Liscia dit :

    Le supplice des Kurdes nous laisse sans voix. Et la vraie nature d’Erdogan. mais peut-etre aussi la vraie nature du pouvoir politique turc « moderne » depuis Kemal Ataturk (entre le génocide arménien, jamais reconnu par la Turquie, et l’alliance avec les Allemands puis les nazis) se révèlent sans trop de surprises. Nihil novi chez les nouveaux monstres. L’Occident continue à se gargariser de fables au nom d’impératifs stratégiques. La Turquie n’est pas un État ami. Bravo aussi à ce grand clerc de Trump qui s’est empressé d’abandonner les Kurdes.

  2. Michel de Guibert dit :

    Le groupe Hayat Tahrir al-Cham résultant de la fusion de 4 groupes terroristes djihadistes (dont le Front Fatah al-Cham, qui a succédé au Front Al Nosra, affilié à al-Qaïda), le groupe Ahrar al-Cham, le groupe Tanzim Hurras ad-Din et le groupe Ansar al-Tawhid (sans même citer d’autres groupes islamistes) sont clairement des terroristes salafistes djihadistes qui opèrent dans la province d’Idlib (et auparavant dans la province d’Alep).
    Réponse
    Bravo pour l’impressionnante étendue de vos connaissances. Mais al-Chalm ou ad-Din, permettez-moi l’expression, tout le monde s’en moque. Les bombardements turcs et russes tuent des civils, n’est-ce pas ? C’est à eux seuls que je pense, pas à Al Nosra.J e veux bien que vous tentiez d’innocenter les ogres qui se repaissent de la Syrie, mais franchement, là, s’il vous plaît, laissez-moi dire les choses comme elles sont.
    R.L.

    • Michel de Guibert dit :

      Si tout le monde s’en moque, et vous aussi semble-t-il, moi, je ne me moque pas du terrorisme islamiste djihadiste en Syrie, soutenu pour une partie d’entre aux par la Turquie, qui joue un rôle très trouble en Syrie.
      Oui, les bombardements tuent des civils, et c’est affreux, mais, si les islamistes ne se mélangeaient pas à la population prise en otage dans la province d’Idlib après celle d’Alep, il y aurait moins de victimes civiles dan cette guerre.
      Réponse
      Il est tout à fait excessif de croire que je me moque du terrorisme. Je me moque des noms innombrables qu’ils se donnent.Je me moque si peu des terroriste que je commence par les plus criminels d’entre eux, j’ai nommé Assad et Erdogan, sans compter Poutine. Vous avez constamment, dans votre participation à ce blog (qui est la bienvenue), raisonné à partir de la Realpolitik. Elle n’est pas applicable aux massacres de masse. Que je sache, les Kurdes ont su, les armes à la main, se débarrasser des djihadistes et autres terroristes. On n’a pas besoin de tuer cent civils pour avoir la peau d’un terroriste. On ne combat pas le terrorisme par des bombardements massifs, mais en allant les chercher sur le terrain.
      R.L.

      • Michel de Guibert dit :

        Oui, je vous suis dans votre rejet des bombardements massifs, mais permettez-moi d’observer que Assad (ou Poutine) combat aussi les terroristes même s’il sème la terreur par les bombardements des zones contrôlées par les terroristes… qui eux-mêmes bombardaient aussi la partie d’Alep (Ouest) contrôlé par le gouvernement syrien.

  3. PICOT dit :

    On peut dire plus simplement que les Turcs n’ont pas le droit d’être en Syrie. Les Syriens veulent récupérer leur territoire, ce qui semble légitime.
    Réponse
    Quels Syriens ? Les morts ou les exilés ?
    R.L.

  4. mathieu dit :

    Ou comment le monde retourne doucement, et par étapes, à la sauvagerie, après un demi-siècle de régulation – sinon de paix – américaine.
    1- la mort de l’ONU en 2014, quand son gendarme exécutif (les États-Unis) se couche face au génocide syrien, par le pitoyable renoncement, le déballonnage d’Obama, prélude à :
    2- la flambée des nationalismes et populismes sur tous les continents, créateurs de dictateurs (ou présidents à vie, ça sonne mieux), qui, sous couvert de lutte anti-terroriste (bien pratique) écrasent les timides foyers de démocratie sous les bombes, finissant le travail sur place grâce à de bien utiles milices spontanées et « incontrôlées » : Syrie, « Kurdistan », Crimée, Ukraine, Tibet, Palestine. On va finir par regretter le maléfique « impérialisme » américain !

    Réponse
    C’est exactement ce qui se passe : les Européens ont mis près de 80 ans à dénoncer l’influence américaine puis, dès que Trump a adopté sa politique isolationniste, ils ont hurlé contre l’abandon. Si vous me le permettez par ailleurs, je ne crois pas que la Palestine soit comparable à la Syrie. Les Syriens seraient heureux d’être palestiniens.
    R. L.

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