Les affres du déconfinement

Jean-François Delfraissy
(Photo AFP)

Le déconfinement ne sera pas une partie de plaisir : la procédure sera sélective, progressive, probablement injuste et très compliquée. Elle pourrait s’arrêter à la moindre alerte. C’est une notion beaucoup plus virtuelle que réelle.

DIRECTEUR du Comité scientifique, le Pr Jean-François Delfraissy a annoncé le déconfinement à partir du 11 mai avec une prudence de Sioux, un peu comme si, au fond de lui-même, il ne souhaitait pas l’accomplir. Il a même exclu d’emblée 18 millions de nos concitoyens qui, selon lui, seraient des personnes à risque : elles doivent continuer à se cloîtrer. Au sein de ce groupe, figurent les 65 ans et plus, ceux que j’appelle vulgairement « les vieux », avec l’autorité que me confère mon âge personnel. Cette semaine, j’ai déjà évoqué le traitement que leur font subir les décideurs, qui, certes, entourent les personnes âgées de toute leur affection mais contribuent ainsi à les étouffer et à accroître leur anxiété, leur peur ou leur inconfort. De sorte que le coronavirus a accentué une tendance sociale reconnue et inquiétante, ce qu’on appelle « l’âgisme », forme d’intolérance à l’égard des vieux qui seraient tous, et sans distinction, des épaves physiques porteurs en outres des stigmates plus ou moins prononcés de la sénilité. Ce mépris de classe larvé dans l’empathie affichée a, sur les vieux, un effet délétère. Il les oblige à sortir du bois et à revendiquer les droits qu’ils sont censés avoir comme tous leurs concitoyens.

Un « on » accablant.

Je ne jetterai pas la pierre à M. Delfraissy. Il est médecin et il a l’habitude de prescrire des ordonnances sans demander l’avis du patient, puisqu’il sait ce que le patient ne sait pas. Mais nous, les vieux, nous devons faire valoir notre singularité individuelle. Un vieux n’est pas la copie d’un  autre vieux. Il peut fort bien ne pas être malade et même résister mieux au virus qu’un jeune. Il peut avoir diverses affections qui le laissent libre de penser et d’agir. Il n’est pas nécessairement un grabataire. Il est d’ailleurs curieux que la société le responsabilise sur les plans fiscal, judiciaire et moral et tente subrepticement de le déresponsabiliser au niveau de son mode vie. Ma façon de vivre n’appartient qu’à moi-même, je n’ai pas à la négocier avec la collectivité. Je fais partie de ce groupe ultra-majoritaire qui n’éprouve pour les soignants qu’admiration et compassion. Mais pour avoir eu l’occasion de faire de rares séjours à l’hôpital, la réflexion de l’infirmière qui entre dans ma chambre à 6 heures du matin pour dire : « Alors, on a bien dormi ? », m’est restée dans la tête. Ce « on » est accablant. C’est un « on » qui fait du vieux un citoyen de seconde zone, un « on » qui nous rend tous anonymes.

La tentation de la clandestinité.

Donc, sur le déconfinement, j’ai une position : je veux en faire partie et le plus tôt possible, sinon je passe à la clandestinité et je prends le maquis. Et, tout en approuvant les applaudissements des Français le soir à 20 heures, j’applaudis à tout rompre Marie de Hennezel, 73 ans,  écrivaine de son état, qui voit dans le non déconfinement des personnes âgées une atteinte inadmissible aux libertés. Comme dirait l’autre, ça se discute. Le vieux qui doit rester chez lui, ce n’est pas un vieux mais un  malade, une personne fatiguée. La cible du maintien à domicile, c’est la fausse fragilité avérée par la date de naissance.

De quoi parlé-je ? De l’âme que recouvre l’enveloppe corporelle, du cœur qui bat et du cœur, comme le courage de Rodrigue et son amour pour Chimène. Ah, c’est sûr, il faut bien que, dans cette épouvantable tourmente, nos dirigeants fassent des choix, qu’ils découpent le pays en zones déconfinables ou non déconfinables, qu’ils refusent de porter le chapeau si par malheur quelques vieux en goguette attrapent le virus, que tout citoyen doit subir la discipline exigée par la médecine et que les rebelles ne font que brouiller le tableau. Il est indiscutable que nous avons ici une conversation publique sur la vie et la mort. La vie, c’est vivre avec la perspective d’une mort inéluctable. Avant la mort, il faut vivre.

RICHARD LISCIA

 

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10 réponses à Les affres du déconfinement

  1. D.S. dit :

    Attention, le confinement des jeunes sert à protéger les vieux. Et le confinement des vieux sert aussi à protéger les vieux. Donc on ne nous veut que du bien (A 67 ans et 11 mois, je fais bien sûr partie de la catégorie). Et vus les risques encourus, je resterai confiné selon mes règles personnelles. Mais hors de question que l’on m’impose des règles qui ne soient pas générales.

    • Michel de Guibert dit :

      Le paradoxe est que, dans le même temps, de nombreuses voix s’élèvent pour juger prématurée la levée du confinement pour les écoles et que d’autres voix la réclament pour les personnes âgées et pour les personnes les plus vulnérables…

  2. S.J. dit :

    Médecin retraité depuis 2 ans et demi, âgée de 68 ans, j’ai été sollicitée pour faire partie de la réserve sanitaire, alors que le personnel soignant travaillait encore sans la moindre protection (masque, charlotte, sur blouse,….). Depuis, mon état de santé ne s’est pas altéré le moins du monde. Alors, pourquoi devrais-je rester confinée aujourd’hui alors qu’hier on considérait que j’étais apte à prodiguer des soins, et donc sans risque pour ma santé?

  3. Langer dit :

    Cher Richard Liscia, je vous comprends, et je suis d’accord avec vous. Une fois l’urgence passée, on devrait pouvoir choisir un peu. Le temps qu’on vit, il faut le vivre, en s’adaptant certes, mais tout de même le vivre, car quoi qu’il en soit, on mourra.

  4. Michel de Guibert dit :

    Je comprends votre réaction, Richard Liscia, je suis moi-même plus ou moins de votre génération, même si je ne suis pas encore retraité…
    Discriminatoire cette annonce, discriminatoire cette politique envisagée pour la période déconfinement ? Certes, mais le coronavirus aussi est discriminatoire !
    Le professeur Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique sur le coronavirus, a de bonnes raisons de craindre une seconde vague épidémique avec la levée précoce du confinement alors qu’il n’y a pas encore d’immunité de groupe ; ce n’est pas si simple…
    L’hécatombe liée au coronavirus dans les EPHAD a été terrible, et il y a des moyens d’humaniser le confinement sans pour autant le lever complètement.
    Il n’est pas question de plus de confinement qu’aujourd’hui, les personnes âgées ne sont pas interdites de toute sortie.
    La situation dans les EPHAD est différente, et là c’est dramatique et il est vraiment nécessaire de faire très attention, mais il est prévu de permettre des visites moyennant des précautions particulières pour les visiteurs.
    Cela dit, Emmanuel Macron vient de dire qu’il « ne souhaite pas de discrimination » des personnes âgées dans le déconfinement, mais qu’il « en appellera à la responsabilité individuelle ».
    Je souscris.

  5. DR RADIGUET dit :

    Bonjour, très étonné de votre point de vue, voici un article de Comte Sponville que je trouve probablement, et un peu malheureusement, beaucoup plus réaliste même si peu politiquement correct. Plus les semaines et les mois passeront, plus il risque de dire vrai.

    https://www.franceinter.fr/idees/le-coup-de-gueule-du-philosophe-andre-comte-sponville-sur-l-apres-confinement?fbclid=IwAR2PaNbp1FbWNfXq1CLH7xLfihFd1-EBj4uGEcKXyQaTMdxWJVcY14FUGyw

  6. Dr José Wendum dit :

    Je propose de lancer une pétition pour dire non à la discrimination des personnes âgées pour le déconfinement. Non à l’infantilisation des seniors. Il est impensable d’imposer des mesures discriminatoires à des citoyens qui payent des impôts, qui ont le droit de voter, bref on ne peut leur refuser les libertés républicaines de par leur âge. Ils doivent être libres de se confiner ou de se déconfiner en fonction de leur propre choix.

  7. Guy RENAULT dit :

    Bravo et merci d’exprimer haut et fort ce que nous, » les vieux  » ressentons !
    Nous sommes devenus une maladie contagieuse qu’il faut mettre au lazaret …

  8. GG. dit :

    Tout à fait d’accord avec vous : je trouve que l’on entend beaucoup trop les médecins. Ils font leur travail, bien, et c’est un peu normal. Je suis médecin, encore en activité, malgré mon âge « confinable ».
    j’aimerais entendre des économistes, des historiens, des spécialistes de l’évolution paléoanthropologue, et même des hommes politiques prenant leurs responsabilités, qui ne se retranchent pas derrière deux ou trois comités scientifiques.
    « Nous ne sommes jamais sortis de l’évolution darwinienne  » disait Pascal Picq ,dans un excellent entretien des « Échos »du vendredi 3 avril.

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