L’orage économique

Bruno Le Maire
(Photo S. Toubon)

À mesure que les instituts publient leurs études sur l’avenir économique immédiat du pays, il apparaît que les sombres perspectives tracées par les pouvoirs publics au début de la pandémie n’étaient pas assez pessimistes. Nous avons assisté à une chute de 5,9 % de la croissance au premier trimestre, les trois trimestres suivants risquent de porter  la récession à un niveau inédit.

C’EST le processus du déconfinement qui est en cause. Il sera prudent parce que c’est ainsi qu’il a été conçu, mais il sera aussi confronté à des difficultés d’une telle ampleur que personne ne peut dire avec certitude qu’il se traduira par une relance franche de l’économie. D’aucuns prévoient la disparition de la moitié des petites entreprises, d’un taux élevé de restaurants, cafés et bistrots, théâtres et cinémas, boutiques et commerces spécialisés qui disparaîtront. Or la récession est une boule de neige qui dévale la pente : le nombre de chômeurs augmente, leur pouvoir d’achat diminue, les faillites commerciales entraînent la mise au chômage des employés. Un cercle vicieux que le gouvernement tente de rompre avec une générosité à laquelle il ne nous avait pas  habitués. Il vole au secours des entreprises ; il paie une partie des salaires de manière à ce que les employés, mis momentanément au chômage technique, reprennent leur travail à la fin du déconfinement ;  il contribue à la politique européenne de rachat de dettes ; il déverse des centaines de milliards dans l’économie, carburant indispensable au fonctionnement du moteur.

La leçon de 2008.

Aucun économiste ne s’est vraiment risqué à dire que nous entrons dans une crise comparable à celle de 1929. Beaucoup d’experts notent que le gouvernement a tiré la leçon de la crise des subprimes de 2008 et qu’il mettra à la disposition des entreprises exposées au coma les sommes qui leur sont nécessaires, sous forme de prêts à court terme ou de dons purs et simples. La solidité du tissu social dépend entièrement de ces mesures qui, dès la fin de mars, ont reçu un début d’application, notamment pour le financement du chômage technique ; elles s’amplifieront avec le retour au travail de la plupart des salariés. Mais deux inconnues demeurent : l’expansion du marché intérieur n’est pas certaine tant que les lieux de loisirs ne sont pas rouverts ; et les foyers seront partagés entre la crainte de l’avenir (et donc la nécessité de l’épargne) et le besoin de s’offrir un peu de bon temps. Mais le poison le plus mortel est l’incertitude. Au fond, personne ne sait comment va se passer le déconfinement, personne ne peut dire qu’il va se traduire par des résultats économiques positifs. L’inconnue ne se situe pas dans l’absence de désir de reprendre le chemin du travail, mais dans un éventuel rebond de la pandémie qui annulerait aussitôt la « libération » des salariés et ferait de nouveau pencher la balance en faveur de la santé plutôt qu’en faveur de l’économie.

Un an de galère ?

Le dilemme disparaîtra quand la pandémie sera vaincue par un vaccin ou par la poursuite de mesures préventives, masques, tests, maintien des gestes-barrière et de la distance entre les individus, cette dernière prescription étant pratiquement inapplicable dans les transports publics et dans les écoles. Franchement, seul le vaccin, sûr et produit en quantités suffisantes nous apporterait enfin le traitement capable de nous arracher à l’effet délétère du virus.  Mais dans le meilleur des cas, nous ne l’aurons pas avant l’année prochaine, ce qui semble nous garantir encore douze mois de récession, avec un taux de chômage qu’il est préférable de ne pas chiffrer. Ce sera une catastrophe mais elle ne sera pas limitée à la France ; l’Allemagne ne sera pas prospère si la France, son premier client, ne lui achète pas ses produits (et vice versa) ; et encore une fois, la consommation intérieure française est la clé de notre développement, elle compte plus que nos exportations. Peut-on espérer que, cette fois, la classe politique comprendra que le malheur économique n’est pas causé par une mauvaise gestion gouvernementale ? Que les pouvoirs publics, en renonçant à leurs dogmes (notamment sur l’équilibre des comptes) et en offrant quelques centaines de milliards d’euros à la marche de l’économie, ont fait du bon travail ? Ou bien faudra-t-il encore que ce pays décidément incurable s’écharpe sur ce qui a été fait et ce qui n’a pas été fait ?

RICHARD LISCIA

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3 réponses à L’orage économique

  1. admin dit :

    Laurent Liscia dit :

    C’est une crise curieuse : plus grave qu’une simple récession, moins grave qu’une guerre ouverte. Jusqu’ici on n’a pas vu d’unions nationales émerger. (Sauf dans quelques pays, Israël, Nouvelle-Zélande, Suède et encore …). C’est peut-être trop espérer.

  2. Bernard Galliot dit :

     » Les pouvoirs publics, …… ont fait du bon travail « ?
    Je suis abasourdi !
    Syndrome de Stockholm ?
    Je veux bien entendre qu’ils essaient de réparer l’énorme erreur du départ….mais cela n’effacera jamais cette erreur!( répétée dans presque tous les pays).
    Cette erreur c’est d’avoir sous estimé le problème alors que dès janvier nous avions tous les éléments pour comprendre ce qui allait se passer.
    De n’avoir pas compris ce que voulait dire confinement face à un virus: Ce n’était pas la population qu’il fallait confiner, mais les contaminés et leurs contacts…( ce que nous allons enfin faire à partir du 11 mai grâce aux brigades?)
    Demander à la population de se confiner et en même temps de trimbaler les malades dans un parcours de santé mal sécurisé, quel délire !
    La crise économique risque de faire plus de dégâts humains que le virus (je suis peu compétent pour évaluer les dégâts économiques, mais nous verrons l’addition à payer dans les mois et années à venir)
    Il serait bon qu’un prochain éditorial de votre part analyse la gestion de crise en janvier et février?

    Réponse
    Je regrette de devoir vous dire que les points d’exclamation ne remplacent pas la logique. Vous déclarez ne pas être compétent en économie, mais ce n’est pas votre seule lacune. Mon prochain éditorial (plutôt une chronique) le voici : il ne suffit pas de décrire le délire des autres, il faut aussi vous rendre compte du vôtre. Le confinement a permis de sauver plusieurs dizaines de milliers de vies françaises. La fameuse « erreur de départ » se limite aux mensonges de la Chine, aujourd’hui répertoriés. Vous prétendez que le problème a été sous-estimé en janvier, que n’avez-vous lancé l’alerte et, avec vous, deux cent mille professionnels de santé ? Qui est responsable de la pénurie de masques et de respirateurs, sinon les prédécesseurs de droite et de gauche de Macron ? Ça, c’est pour le domaine où vous vous croyez compétent. Pour l’économie, le gouvernement a jeté 300 milliards, presque 15 % du PIB dans cette crise. Il paie 70 à 80 % des salaires des travailleurs jetés au chômage technique. Il a pris des mesures très coûteuses pour que la machine économique se remette à marcher dès que la menace sera écartée. Si cela vous rassure d’affirmer que l’État français, et lui seul, incarné uniquement par Macron, est responsable du cataclysme, je crois qu’il vous serait utile de reprendre vos études et d’y ajouter un peu d’arithmétique.
    R.L.

  3. Jean Vilanova dit :

    Le gouvernement paie cash une crise déclenchée bien avant lui par ses prédécesseurs. Par delà la question des masques et des tests, il faut se rappeler le concept délirant « d’hôpital-entreprise » dont le président Sarkozy, son pâle successeur et leurs ministres de la santé respectifs (dont Roselyne Bachelot, avec sa loi HPST que j’enseignais à mes étudiants, aujourd’hui béatifiée) se firent les chantres. Maintenant, d’accord pour reconnaître que l’exécutif d’aujourd’hui a pu se montrer « flottant » au niveau de son discours. Et j’ai du mal avec la question de l’ouverture des écoles. Mais, je trouve qu’il fait aussi bien que possible face à une crise inédite et d’une telle amplitude. Pour l’instant, il s’attache à ce que le pays ne s’effondre pas. Je salue cette démarche. Ma pensée va aux victimes (dont un de mes proches) et leur famille. Et ma crainte, dans notre pays si fragile, c’est que ce cataclysme contribue à conduire les extrêmes au pouvoir.

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