Les mots de la crise

Les masques, comme au carnaval
(Photo AFP)

La pandémie de coronavirus a contraint nos technocrates à puiser dans le vaste vocabulaire français des mots qui désignaient autre chose mais qui leur semblent appliqués à la crise. C’est un florilège parfois amusant, parfois un peu lassant, mais plutôt intéressant.

J’ACCORDE le Grand Prix à l’expression distanciation sociale qui semble d’autant plus technique et mystérieuse qu’elle signifie seulement que les personnes ne doivent jamais se rapprocher de moins d’un mètre de leurs congénères. C’est ce que l’écrivain Pascal Bruckner, non sans frustration, a appelée « la société du mètre et demi », laquelle éloignerait les gens jusqu’aux confins de l’absurde. C’est aussi une formule malheureuse et quelque peu mensongère car elle fait résonner une note positive à propos d’une contrainte, un peu comme le plan social d’une entreprise qui se traduit par des licenciements massifs.

Le masque érotique.

Confinement et déconfinement (celui-ci n’existe pas dans le dictionnaire) méritent une mention car ils décrivent en un mot ce qui, autrement, serait expliqué en une longue périphrase comme « restez chez vous, c’est la meilleure des préventions » et « vous pouvez sortir mais devez porter un masque que vous changerez ou laverez souvent sans que vous soyez autorisé à vous rapprocher de vos concitoyens ».

Le mot masque a l’avantage d’être joli et agréable, d’autant qu’il évoque le carnaval de Venise ou de Rio, ou encore les fêtes du Royaume à Versailles. C’est l’irruption dans la tourmente d’un concept festif qui, loin de priver les gens de se reconnaître et de se mélanger, apporte une note de mystère, de séduction et de jeu dans une tragédie pourtant peu propice aux loisirs et à la joie de vivre. J’irai même jusqu’à dire, en évoquant Casanova, que le masque a une dimension érotique qui convient au confinement car le virus n’est pas le sida et autorise l’amour charnel.

Surblouses et charlottes.

Le « nous sommes en guerre » répété à l’envi par Emmanuel Macron, décidé à mobiliser les Français contre la pandémie, représente bien sûr une exagération et, en tant que telle, il n’est pas sûr qu’elle ait été prise au sérieux par le bon peuple. Toutefois, c’est une sorte de référence obscure au général de Gaulle qui hisse notre président actuel au statut du chef de la Résistance. Il ne fallait pas une imagination débordante pour la trouver, mais elle contient une gravité conforme à l’épreuve que nous traversons. La guerre entraîne toutes sortes de mots militaires comme mobilisation, résistance, héroïsme, dévouement, sacrifice, qui font partie de ceux qu’utilise jusqu’à l’usure le langage journalistique mais ont l’avantage d’envoyer un message simple et compréhensible pour tous.

Prévention et traitement.

En revanche, le vocabulaire médical est beaucoup plus hermétique. D’abord, il faut distinguer entre prévention et thérapie. Ensuite, à l’hydroxycloroquine, dont deux études annoncent ce matin qu’elle n’est pas un traitement sûr, et qui représente un terme énigmatique et pour certains imprononçable, la population préfère le doliprane (pas plus de trois grammes par jour). Réanimation a fait florès, car il laisse présager un risque mortel, ainsi que « lit de réanimation », qui n’est pas un lit comme les autres. Surblouse m’a impressionné, car je ne suis pas médecin. Le mot a grandement contribué à la gloire des soignants qui s’en sont taillé dans des sacs-poubelles. Triomphe de l’ingéniosité française et du système D. Charlotte, mot exquis qui évoque une ville de Virginie, une pâtisserie ou ma voisine. Test est sec comme un borborygme, c’est un objet fuyant et insaisissable qui nous glisse des mains comme une savonnette mais que nous rencontrons très peu dans notre contrée. L’importance du test est dans son corollaire, l’écouvillon, quel mot merveilleux ! Enfin, il  y a le signe cabalistique Ro qui semble établir la notion la plus exquise qu’échangent les médecins, avec la connivence des savants qui parlent au-dessus de la tête du public ignorant : je crois avoir compris que plus le Ro, mesure de contamination, est inférieur à un et mieux ça vaut pour nous. Ah, j’allais oublier le gel hydroalcoolique, superbe mot et beaucoup plus chic que désinfectant.

Mille milliards de sabords.

L’autre volet du vocabulaire de crise se situe dans la sémantique économique. Je dirai que c’est, comme chez Tintin, une explosion de nombres : mille milliards de sabords a précédé les milliers de milliards de dollars dépensés par Trump ou les centaines de milliards dépensés par Macron. Moi j’ai été davantage préoccupé par le prix des masques puisque les premiers que j’ai achetés m’ont coûté 13,95 euros la pièce.  Oui, une arnaque favorisée par la pénurie du début du confinement. Le mot le plus employé est vaccin, qui a la particularité d’être dans tous les propos, qui préoccupe tous les esprits des soignants et des soignés (ainsi que des personnes non infectées) mais dont la gestation est si longue que l’on se demande ce qui arrivera le plus vite, notre mort brutale à l’hôpital ou l’instrument imbattable de la meilleure des préventions.

RICHARD LISCIA

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7 réponses à Les mots de la crise

  1. Alan dit :

    Merci Richard Liscia pour cet article réjouissant en ces temps difficiles !

  2. admin dit :

    LL dit :
    Un peu de bonne humeur !

  3. Michel de Guibert dit :

    Jubilatoire votre article !
    On pourrait gloser longtemps sur cette épi-démie devenue pan-démie à partir d’un pangolin, lui-même redevable d’un virus porté par une chauve-souris; à moins qu’il ne soit sorti d’un mystérieux P4 !

  4. Thierry Deregnaucourt dit :

    Remarquable travail littéraire, qui corrobore le fait qu’un grand journaliste possède à la fois le regard du photographe animalier (qui voit ce qui bouge dans un paysage serein) et celui du philosophe (qui voit ce qui reste pérenne dans un paysage mouvant). Respect !

  5. Hipobac dit :

    Merci d’ouvrir les yeux sur notre société

  6. Thérese-Marie et Michel dit :

    Fidèles lecteurs de votre chronique, nous avons vu que vous situez la ville de Charlotte en Virginie.
    La ville de Charlotte ( plus de 870 OOO habitants), appelée ainsi en l’honneur de Charlotte de Mecklembourg-Strelitz, l’épouse du roi anglais GeorgesIII, est en Caroline du Nord. En Virginie, il y a un conté de Charlotte et une ville du nom de Charlottesville.
    La charlotte est aussi un délicieux entremets
    Nous continuons de vous lire chaque jour avec autant d’intérêt et de plaisir.

    Réponse
    Je pensais, à tort, à Charlottesville, mais reconnaissez que je n’étais pas loin. Merci pour votre assiduité et votre attention méticuleuse.
    R. L.

  7. Thérese-Marieet Michel dit :

    C’est vrai, vous n’étiez pas loin. Parler de Charlottesville nous aura permis de nous rappeler Monticello, Jefferson et ses réelles qualités d’homme d’Etat dont certains auraient bien besoin de s’inspirer;

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