Crise raciale aux États-Unis

Minneapolis hier
(Photo AFP)

La crise raciale aux États-Unis nous semble assez grave et ample pour que nous lui consacrions cette chronique un lundi de Pentecôte. Elle pose le rapport entre un président qui en a au moins partiellement la responsabilité et une communauté noire à bout de nerfs qui se demande si la police et les forces de l’ordre n’ont pas pour objectif de la liquider. 

CE N’EST PAS la première fois qu’on assiste à ce genre de flambée de colère aux États-Unis, ni la première fois que les dirigeants des États optent pour une répression violente sans obtenir de résultat. À diverses reprises, en 1968, par exemple, des manifestants noirs exaspérés s’en sont pris à leurs propres maisons et à leurs propres automobiles pour exprimer leur indignation contre les méthodes de la police, puis plus tard, en 1992, notamment à Los Angeles, pour dénoncer les inégalités sociales. L’histoire post-esclavagiste de l’Amérique a été jalonnée de manifestations monstres et d’émeutes meurtrières. C’est Lyndon B. Johnson, successeur de Kennedy, assassiné en novembre 1963, qui a mis en place le programme le plus ambitieux d’émancipation des Noirs américains et il est incontestable que, depuis, s’est créée une bourgeoisie noire qui est patriote, participe activement à la gestion du pays et a accédé à la classe moyenne supérieure. Il s’agit cependant d’une minorité à l’intérieur d’une minorité plus vaste.

De l’esclavage à aujourd’hui.

Les Noirs, pour la plupart, n’ont pas voté pour Donald Trump qui, pendant sa campagne précédente, leur avait largement expliqué qu’il ne ferait de cadeau à aucune minorité. Leur suspicion a été confirmée par les actes du nouveau président, comme le mur avec le Mexique, mais aussi par ses déclarations sur les Mexicains, ces « brigands et violeurs » qu’il fallait empêcher d’entrer sur le territoire américain. Les premiers mois du mandat de Trump ont baigné dans la xénophobie et le racisme, alors que s’amplifiaient chaque jour la nostalgie de la Confédération sudiste, les provocations et les défis, en particulier les attaques contres les Noirs, lesquelles ont donné lieu à la naissance d’un mouvement, « Black lives matter » ( « Les vies des Noirs comptent ») qui suffit à traduire le désarroi des Noirs : cinquante ans après l’assassinat de Martin Luther King, ils ont constaté que la police tirait sur eux comme sur des perdreaux. Si l’Amérique est par définition une terre d’immigrés, les Noirs ne s’y trouvent que parce que des Blancs les ont amenés d’Afrique dans des conditions inhumaines pour en faire des esclaves. Quand Lincoln les a arrachés à cette condition, il n’avait franchi que le premier pas. Il aura fallu 155 ans pour qu’ils puissent enfin s’exprimer librement dans un contexte que Lincoln n’avait pas prévu, celui où une sorte de complot non avoué les destine pratiquement à la mort. « Ont-ils vraiment l’intention de nous tuer tous ? «  C’est la question que se posent les Noirs aujourd’hui.

Trump a eu sa manifestation.

À l’époque de Kennedy et de Johnson, le racisme intégral avait diminué au bénéfice d’un conflit social : le Sud souhaitait que les Blancs les plus pauvres ne forment pas la classe hiérarchiquement la plus basse, et qu’ils soient, en quelque sorte, au-dessus des Noirs. Si bien que le succès d’une minorité de Noirs est devenu intolérable pour les Blancs qui votent pour Trump. Là où ils n’ont pas d’emploi qualifié ou pas d’emploi du tout, ils composent la dernière des classes. Du racisme social, ils sont retournés au racisme tout court et d’autant plus avec la gouvernance de Trump, dont les commentaires sur les incidents de toutes sortes qui se produisent dans le pays, renvoient les racistes et les persécutés dos-à-dos et dénoncent de toute façon les manifestants quels qu’ils soient. Il a suggéré à ses partisans de manifester devant la Maison-Blanche, ce sont des Noirs et des Blancs unis contre la répression policière qui sont venus hurler sous ses fenêtres.

Le moteur, c’est la peur.

M. Trump n’a jamais été le président de tous les Américains. Il a averti que les pillages seraient réprimés par les tirs des forces de l’ordre. Le candidat démocrate Joe Biden, tout en défendant le point de vue de l’anti-racisme, a assorti ses déclarations d’une condamnation des pillages. Il faut préciser que nous ne sommes plus dans une crise sociale. Les manifestants ne demandent pas des augmentations de salaires, mais que leur vie soit sauve, au même titre que celle des Blancs. Il faut abolir la suspicion en vertu de laquelle un jeune noir est automatiquement un délinquant : dans la police, le premier moteur est la peur. Mais les plus terrifiés sont les Noirs. S’ils sortent le soir, s’ils portent une cagoule, s’ils mettent la main à la poche comme pour en sortir une arme, ils sont abattus. La Constitution des États-Unis n’autorise aucun des sévices exercés contre les Noirs. Mais ils meurent quand même, de sorte qu’ils se révoltent contre le système lui-même, contre une justice qui a libéré l’assassin de George Floyd contre une simple caution, sans doute payée par un tiers, contre des procureurs qui les négligent et les méprisent. Situation critique au sein de laquelle, de toute évidence, de graves exactions racistes, au moins aussi violentes  que celles de l’antisémitisme, sont commises tous les jours contre des Noirs. Situation désespérée, si Trump, qui multiplie les échecs, fait du racisme l’axe de son programme pour conserver son noyau de fanatiques.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à Crise raciale aux États-Unis

  1. D.S. dit :

    Habituellement dans ce genre d’affaire, je soutiens plutôt les forces de l’ordre. Mais cette fois ci, on ne peut qu’être choqué en voyant les images de cette exécution sommaire. On ne sait pas ce qui s’est passé exactement juste avant, mais ce policier n’a aucune excuse. Et surtout pas celle d’avoir probablement voté pour le président au pouvoir actuellement.

  2. admin dit :

    Laurent Liscia :Trump nous incite à la guerre civile, de manière délibérée, en faisant le pari qu’il sera ainsi ré-élu. Quelle crapule!

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