Travailler moins

Dominique Reynié
(Photo AFP)

Le discours prononcé dimanche par Emmanuel Macron ne prêtait guère à la critique, ce qui n’a pas empêché celle-ci de se déchaîner, comme à l’accoutumée. Le président de la République s’est risqué à engager ses concitoyens à travailler plus, ce qui a été accueilli favorablement par pas mal de gens, car trois mois d’inactivité doivent bien être compensés par un surcroît de labeur. Il s’en est suivi quand même un tollé franco-français.

LE MOT travailler est devenu obscène. Il est aussitôt associé à « exploitation de l’homme par l’homme ». Il a fallu que le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, dédouane le chef de l’État en interprétant ses propos : travailler plus, ce n’est pas faire plus d’heures, c’est seulement augmenter la productivité. Il existe des tabous qu’il faut briser à tout prix parce qu’ils gangrènent les puissants cerveaux du combat politique et syndical. Parce qu’ils empoisonnent la mentalité du peuple, notamment à la faveur du confinement, qui a fait croire à beaucoup de gens qu’ils pouvaient rester à la maison et être payés quand même. Ce virus, quelle aubaine ! Le crime commis dimanche par le président est, comme souvent, d’avoir dit la vérité : nous devrons, tôt ou tard, combler les pertes causées par le confinement. Aussitôt les régiments des appareils politiques, les bataillons de la cause contraire, les milliers d’experts toujours soucieux du bien-être populaire, ont dénoncé l’intention de M. Macron d’augmenter le temps de travail et de mettre fin à la semaine de 35 heures.

Excommunication.

Or on se demande pourquoi l’expérience des 35 heures s’est transformée en vérité divine qui vous vaut l’excommunication si, 20 ans après, vous en discutez les avantages et les inconvénients. Le grand maître des 35 heures, Lionel Jospin lui-même a reconnu quelques années plus tard que le raccourcissement du temps de travail posait un problème à l’hôpital (et, ajouterai-je, à l’enseignement public). Dans les si vifs reproches adressés au gouvernement à propos de la gestion du virus (manque de masques et de lits de réanimation), personne n’a cru bon de rappeler que le coût de chaque employé hospitalier est augmenté par la diminution du temps de travail. Vous me répondrez que, si une infirmière est accablée par les 35 heures, elle serait détruite par les 39. Je préciserai donc qu’il faut avoir le courage économique de ses actions sociales : on ne pouvait appliquer les 35 heures qu’en recrutant 10 % de personnels en plus, ce qui, bien sûr n’a pas été fait. Mais ce qui a plongé l’hôpital public dans la faillite et conduit les successeurs de M. Jospin à faire les économies dont nous avons souffert pendant l’épidémie.

La volonté de repartir.

Car l’enfer est pavé des meilleures intentions. Les grands acteurs de l’opposition l’ont oublié, qui, avant même que Macron ait froncé le sourcil, se mettent à hurler qu’on ne touchera pas aux 35 heures : il s’agirait d’un avantage social acquis qui a force de loi et puissance de dogme. Il se trouve que la rhétorique n’est pas harmonisée avec les hurlements de la foi : parmi les rares bonnes nouvelles qui ont suivi le déconfinement, la volonté des entreprises, petites, moyennes ou grandes, de repartir vite et en force a été relevée par les économistes. Cette dynamique est rassurante pour le pays, pour les entreprises et pour les salariés. Dans les cafés et les restaurants par exemple, les patrons visent à retrouver leur chiffre d’affaires et paieront leurs employés pour y arriver. Hier en fin de soirée, je regardais l’excellente émission d’Yves Calvi sur Canal + et, après quelques échanges entre les invités, l’un des interlocuteurs, Dominique Reynié, professeur à Sciences Po, a exprimé l’agacement que lui inspire « l’ironie » des débats publics dans une situation de crise sanitaire. Il est vrai, en effet, que lorsque l’on n’a plus de critiques à lancer contre le pouvoir actuel, on se moque de lui. On s’est moqué de l’auto-congratulation que le président s’est adressée à lui-même sur le confinement et le nombre de décès évités. Il est peut-être temps de dire que ce genre de réflexion est un acte de vérité. Car, si on s’en tient au tableau sinistre que les oppositions et ceux qui ont besoin de la télévision pour se faire valoir dressent de la crise, le peuple français croirait qu’il est le plus mal loti. M. Reynié est donc un honnête homme, qui se croit obligé de dire la vérité de la majorité bien qu’il soit lui-même plutôt les Républicains. Oui, le confinement et le déconfinement se sont bien passés. Non, une pandémie n’est pas une bonne occasion de faire de la politique. Il n’y a pas de droite ou de gauche qui tiennent. Il y a le camp de la malhonnêteté et celui de l’intégrité.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à Travailler moins

  1. Alan dit :

    Encore une fois, tout à fait d’accord avec vous, sur les 35 heures, sur les 35 heures à l’hôpital (où je travaille depuis plus de trente ans), et sur notre président.
    Demandez aux gens en Amérique latine, en Asie, dans cent autres pays du monde, s’ils ont été protégés comme nous l’avons été durant cette crise. Ils viendraient en courant en France !

  2. Amedolelis dit :

    Malheureusement, pour les socialistes qui étaient au pouvoir de 1997 à 2002, la loi des 35 heures a créé un handicap économique pour le secteur concurrentiel français. Si le marché avait été limité à l’Hexagone cela eut été peut-être une bonne initiative. Alors que nous étions entré dans la monnaie unique européenne, comment nos gouvernants de l’époque ont-ils pu honnêtement croire que notre pays allait produire autant de produits et de services que nos concurrents européens, pour un coût du travail plus important qu’eux ? Cela procède de l’utopie politique, en l’occurrence socialiste.
    De façon judicieuse, l’OMS a été créée afin de permettre à tous les pays de partager des informations indispensables à la gestion de la santé des peuples de la planète. Pourquoi l’équivalent économique n’existe-t-il pas ? Une OME, organisation mondiale de l’économie, pour mettre fin à une guerre économique officieuse. Le monde de demain se dessine aujourd’hui.

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