Erdogan le magnifique

Recep Tayyip Erdogan
(Photo AFP)

La Turquie a beau traverser une crise économique et sociale particulièrement sévère, son président, Recep Erdogan, n’en a cure. Il tente, non sans succès, d’augmenter son influence en Syrie et en Libye. Et n’hésite pas, comme un vulgaire ennemi, à menacer la marine française.

L’INCIDENT a eu lieu la semaine dernière au large de la côte libyenne. Un navire français s’efforçait d’arraisonner un cargo soupçonné de convoyer des armes vers la Libye. Un navire turc s’est interposé en fixant ses radars de tir sur le bateau français. C’est l’ultime dispositif qui précède l’ouverture du feu et nous avons failli assister à une bataille navale. La France s’est plainte, à l’ONU et à l’OTAN, de ce comportement agressif adopté par un pays membre de l’OTAN et censé être notre allié. Mais Erdogan ne suit ni le droit ni les engagements pris par la Turquie. Il entend soutenir le régime, certes approuvé par l’ONU, qui domine la partie occidentale de la Libye et qui est installé à Tripoli, contre le général Haftar, patron de la Cyrénaïque, soutenu par la France, et les Occidentaux en général. De la même manière, le dictateur turc a acheté des armes puissantes à la Russie, ce qui est interdit par le statut de l’OTAN.

Poutine pardonne Erdogan.

Il est extrêmement difficile de convaincre les autres membres de l’Alliance atlantique que la Turquie doit être condamnée pour ses agissements. Elle joue de l’ambiguïté de son appartenance à l’OTAN qu’elle ne considère pas comme une forme de solidarité avec des puissances qui dénoncent ses agissements. Elle joue sur tous les tableaux, ce qui a amené Emmanuel Macron a répéter une fois de plus qu’il n’a pas eu tort quand il a déclaré il y a quelques mois que « l’OTAN est en état de mort cérébrale ». Bien entendu, si la Turquie se comporte en délinquant international, imitant de la sorte les mauvaises manières de Vladimir Poutine, dont l’aviation vole en rase-mottes sur les navires qui patrouillent en mer du Nord et en mer Baltique, c’est qu’il ne subit jamais aucune sanction. Au plus fort de la guerre civile en Syrie, il a fait abattre un appareil russe. Poutine le lui a pardonné. Plus récemment, ses troupes ont envahi le nord de la Syrie, faisant reculer les forces Kurdes dans un réduit territorial et Donald Trump l’a laissé, allant même jusqu’à dire qu’il souhaitait le rapatriement des forces américains, ce qui serait une trahison. Car les Kurdes ont protégé les populations que menaçait l’alliance des Russes, du régime de Bachar el Assad et des milices turques. C’est grâce aux Kurdes que les Yézidis, par exemple, ont survécu.

Un atout pour les régimes autoritaires.

Ce qui est en jeu, c’est un phénomène produit par deux lignes directrices : d’une part, les Turcs veulent affirmer leur influence en Syrie et en Libye par l’usage de la force ; d’autre part, le néo-isolationnisme américain dépourvu de toute compassion pour des peuples conduits à la servitude et fortement ancré dans le cynisme, favorise l’anarchie géopolitique au Proche-Orient. L’absentéisme des États-Unis n’est pas neutre. Il entraîne automatiquement le renforcement de Bachar, la tentation interventionniste des Turcs et la perplexité de Vladimir Poutine, qui a été le premier à lancer l’interventionnisme tous azimuts et se voit soudain débordé par un régime turc totalement dépourvu de scrupules. M. Erdogan a certainement changé, à son profit, la donne en Libye. Il a fait de son pays, puissance moyenne, le lieu géométrique de tous les avantages qu’il est capable d’obtenir des situations malsaines. Il n’a craint de menacer ni Moscou  ni Paris. Et le seul homme qui puisse le freiner ou l’arrêter dans cette aventure, c’est Trump.

Sursis pour les « dreamers ».

Mais le président américain a beaucoup d’autres soucis. Il est, électoralement, en perte de vitesse. Il n’a rien fait pour épargner à ses concitoyens la progression de la pandémie de Covid-19. Il ne peut plus se targuer de la bonne santé économique des États-Unis, un foyer d’inégalités qui ne cesse de se répandre. Membre fondateur de l’Organisation atlantique, l’Amérique en est devenue le principal détracteur. Champion autoproclamé de la bonne gestion économique, M. Trump laisse aujourd’hui les gouverneurs des États gérer la misère et le chômage. Il est incompétent nationalement et internationalement, mais sa gouvernance est très dangereuse non seulement aux yeux de l’opposition démocrate mais aux yeux de nombre de ses collaborateurs.

Sur la décision de la Cour suprême d’accorder un sursis aux « dreamers », ces jeunes étrangers qui vivent aux États-Unis et poursuivent leurs études en vue d’une qualification professionnelle : Trump voulait les expulser massivement, la Cour a rejeté (à sa manière) ce projet scélérat. Mais la principale leçon du mandat de Trump, c’est l’abandon de l’ordre international, c’est le chaos qui permet à des dictatures à la tête de puissances moyennes de semer le désordre. Or personne ne va tirer le moindre profit de ce chaos, qu’il faut relier à la longue crise syrienne : ni les Américains, ni les Européens, ni les Russes, ni même ceux qui tentent d’imposer leur influence par la force militaire et qui seront, un jour, pendus haut et court par leurs peuples exaspérés.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à Erdogan le magnifique

  1. donmez13@hotmail.com dit :

    J’allais lire votre article, mais vous dites : « Dictateur turc »
    Instantanément, vous n’avez plus de crédibilité.
    J’arrête alors ma lecture !

    Réponse
    Vous avez raison : Erdogan est un grand démocrate. Si cela vous convient de vous ridiculiser, je n’y vois aucun inconvénient.
    R. L.

  2. Michel de Guibert dit :

    « les Kurdes ont protégé les populations que menaçait l’alliance des Russes, du régime de Bachar el Assad et des milices turques » ?
    Euh… les milices turques soutiennent les milices islamistes liées à Al Qaida et opposées à Bachar el Assad, lui-même soutenu par la Russie.
    Réponse
    Bien vu. C’est l’incohérence totale.
    R. L.

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