Les juges contre Dupond-Moretti

Eric Dupond-Moretti
(Photo AFP)

La crise de la magistrature a entraîné une épreuve de force majeure entre le nouveau ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti et les magistrats, lassés de ses incursions dans l’exercice de leur métier. Sa nomination, le 8 juillet dernier, au poste occupé par Nicole Belloubet, devient un boulet pour le président.

CE QUI A MIS le feu aux poudres, c’est l’acharnement du ministre contre trois magistrats du Parquet national financier (PNF) au secours desquels François Molins, procureur général de la Cour de cassation et Chantal Arens, première présidente de la même Cour ont aussitôt volé dans une tribune publiée par « le Monde ». Les deux magistrats occupent les positions les plus élevées au sein de la corporation. Ils ont exprimé des doutes quant à la légalité de la démarche de M. Dupond-Moretti. Avec d’autres avocats, il avait été mis sur écoute téléphonique par la justice qui voulait en savoir plus sur le financement des campagnes électorales de Nicolas Sarkozy par la Libye de Kadhafi. M. Dupond-Moretti avait porté plainte contre le PNF, puis retiré sa plainte. L’affaire a été classée sans suite, mais le nouveau ministre a exigé une enquête plus approfondie destinée à vérifier qu’il n’y avait pas eu au PNF de démarche qui eût encouru une sanction disciplinaire.

Avocat et confesseur.

Jusque là, rien d’illégal sinon que M. Dupont-Moretti, qui n’est plus avocat pour l’instant, semble tirer avantage de sa position ministérielle pour s’acharner contre les trois magistrats. Son erreur est d’autant plus regrettable que, après avoir obtenu un supplément de financement de 4 % pour la Justice en 2020, il en a obtenu un autre de 8 % pour 2021, soit un budget considérable de plus de 8 milliards inscrit dans la Loi de finances qui va être adoptée par le Parlement. Le ministre ne surprend personne par sa combativité, qu’il a exercée à la barre, mais on se demande s’il se considère comme le représentant des justiciables, des avocats ou des magistrats. D’où le soupçon qu’il n’est arrivé place Vendôme que pour régler ses comptes avec les juges. Il n’empêche que la curiosité du PNF pour les communications entre avocats à la faveur de l’affaire Sarkozy s’est étendue jusqu’aux conseils qui n’avaient rien à voir avec l’affaire et avaient seulement le tort d’être les amis de leurs confrères soupçonnés. De toute façon, on ne met pas un avocat sur écoute, il bénéficie de l’immunité, un peu comme le confesseur qui ne doit surtout pas révéler ce que lui a dit le croyant.

Un épouvantail.

Mais, de la même manière, un avocat qui est bombardé ministre de la Justice, ce qui n’est peut-être pas le geste le plus malin, ne peut pas s’arroger des droits qu’il n’a pas, uniquement parce qu’il prétend remettre de l’ordre dans la magistrature alors qu’il représente une des parties concernées dans une affaire litigieuse. Éric Dupond-Moretti mène la magistrature tambour battant sans prendre le temps de la consulter et alors qu’elle a besoin d’une grande réforme, celle-là même qu’il ne réalisera pas par de simples provocations. Il doit associer les personnels à une telle réforme et, pour lui-même, doit éviter de devenir l’épouvantail de la profession.

Certes, le ténor du barreau n’est pas homme à se laisser impressionner par des réactions indignées de magistrats qui savent tous que la justice française fonctionne mal. Il est évident que juges et procureurs, confrontés à des enquêtes complexes sur le financement des partis politiques, ont bafoué le secret de l’instruction à de multiples reprises, ce qui a fait la fortune de quelques journalistes d’investigation. De sorte que l’on a traîné dans la boue des politiciens qui n’ont toujours pas été condamnés. On a créé autour d’eux le halo du scandale pour mieux les éliminer de la scène politique. Mais pourquoi ? Les magistrats ont-ils une couleur idéologique ? Un homme de droite doit-il craindre un magistrat de gauche ? Si c’est le cas, l’application du droit est déjà viciée. En même temps, l’image de la justice n’est pas que négative. Beaucoup d’hommes ou femmes politiques ont été condamnés à droite, à gauche, à l’extrême droite, à l’extrême gauche. Ce  bilan montre que les juges ne font pas tous appel à leurs émotions personnelles. La justice ne doit être que la recherche de la vérité.

Si la magistrature doit être réformée, c’est pour que la justice soit plus juste, plus efficace et plus rapide. Ce n’est sûrement pas pour des règlements de comptes par le biais miraculeux du pouvoir politique. M. Dupond-Moretti commet ses premières erreurs de ministre en puisant ses colères homériques dans son caractère flamboyant. On n’est plus au tribunal, Maître.

RICHARD LISCIA

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