Inceste : la déferlante

Olivier Duhamel
(Photo AFP)

Publié au début du mois, le livre de Camille Kouchner relatant le viol de son frère par leur beau-père, Olivier Duhamel, a déclenché dans les réseaux sociaux une vague de révélations indignées par d’anciennes victimes de crimes identiques. La justice s’est emparée du cas Kouchner et le problème posé aujourd’hui est d’en faire un crime imprescriptible.

PAR RAPPORT au crime, la naïveté de l’immense majorité des gens est toujours mise en défaut. Certaines statistiques parlent d’un enfant sur dix qui, en France, aurait été victime d’agressions sexuelles et la plupart de ces agressions sont commises par des membres de la famille. Ce n’est donc plus seulement la nature de l’infraction qui est dénoncée, c’est le nombre très élevé de cas. Il ne peut être diminué que par une peur croissante du gendarme. Il est admis que les enfants devenus adultes éprouvent de vives difficultés à faire savoir ce qu’ils ont enduré. Et ils ne peuvent réagir que lorsque, enfin maîtrisant leur propre existence, ils peuvent se retourner contre leur bourreau. Ce processus prend des décennies et n’aboutit pas forcément. Le frère de Camille Kouchner a appris à reconstruire sa vie. Il n’était pas très enthousiaste quant aux révélations que sa sœur s’apprêtait à faire. Il est certain qu’elle a remué un passé douloureux et qu’il retourne à un moment de sa jeunesse qu’il préférait oublier.

Des martyrs.

De fait, « la Familia grande », du nom de l’ouvrage de Mme Kouchner, expose le microcosme qui n’a cessé, depuis la révolution morale de 1968, de se complaire dans les libertés nauséabondes qui menaçaient de détruire la famille en bénéficiant de son extrême indulgence, son apathie, et de la loi du silence. C’est une autre façon de dire que l’intelligence et la culture, associées à une accumulation de pouvoirs, conduisent à des actes intolérables qui transforment les victimes en martyrs, parfois tout le long de la vie, parce qu’elles ont honte et peur. Il y aurait une « tradition » de l’inceste en France depuis des siècles ; elle serait liée à l’alcoolisme dans les milieux agricoles ou urbains et pauvres et, avec le slogan soixante-huitard « Il est interdit d’interdire », elle aurait gagné les milieux intellectuels. Les révélations faites par la presse depuis le début du moins sont à cet égard effarantes, dans la mesure où elles montrent de signes avant-coureurs ou des symptômes qui auraient échappé à l’opinion publique, comme Daniel Cohn-Bendit qui a mentionné dans un de ses livres son attirance pour les enfants, ou l’affaire de Gabriel Matzneff qui n’a jamais hésité à écrire et, surtout, à s’enorgueillir, des rapports amoureux qu’il entretenait avec des enfants.

Les enfants doivent être protégés.

À part un incident télévisé avec François Bayrou, qui lui reprochait son comportement, Cohn-Bendit s’est fort bien tiré de cette affaire. Matzneff, pour sa part, a tout perdu, à commencer par les subventions versées par l’État à son « talent », que la prospérité n’a pas récompensé. Ce qui est remarquable et montre à quel point la société française s’est adaptée à une étrange évolution des mœurs, fondée essentiellement sur l’oubli de l’éthique, c’est qu’il y a eu toute une époque où l’on ne s’émouvait guère de la tendance à ce qui voulait passer pour du libertinage alors qu’il s’agissait d’une grossière violation des droits humains là où les enfants et adolescents devaient être sûrs d’avoir la garantie de la protection affectueuse du reste de la famille. Cette période est bel et bien finie et les violeurs en puissance feraient mieux de prendre une douche froide et ne pas s’aventurer sur ce terrain. Il n’existe pas d’amour familial qui ne soit complètement désintéressé et la mère doit protéger ses enfants, parfois contre leur père ou beau-père.

La France se réveille.

En ce sens, Camille Kouchner ne se contente pas d’obtenir un succès de librairie, elle a réveillé la France, qui s’aperçoit soudainement qu’elle avait perdu toute vigilance face à un crime fréquent et dévastateur qu’elle ne peut plus laisser impuni. Il faut donc le rendre imprescriptible comme les crimes contre l’humanité, car c’en est un. On ne peut pas admettre que les pulsions du violeur soient admises et ne soient pas jugées ; elles n’ont aucune légitimité, même si, de toute évidence, elles sont irrépressibles, ce qui veut seulement dire que le coupable est un justiciable et un malade qui doit être soigné. On ne peut pas abandonner enfants et adolescents à leur désespoir : leur incapacité à se défendre est largement documentée, elle ne constitue pas une circonstance atténuante pour l’agresseur. Les explications sinistres données par les violeurs ne diminuent en rien leur culpabilité ; celles que fournissent ceux « qui savaient » mais ne savent plus comment se dépêtrer de cette affaire et parmi lesquels on compte quelques célébrités, devraient éviter de passer par les radios et chaînes de télévision. Même s’ils ne sont coupables que de complaisance, ils portent un fardeau accablant qui suffit à les discréditer  définitivement.

Pour se garder de toute chasse à l’homme, il faut qu’une loi soit rédigée et adoptée. Il faut, comme on dit, que la peur change de camp. Il faut donner aux enfants le droit de s’épanouir dans un monde d’affection et d’amour, et surtout dans le respect de leur corps et de leur charme. Il faut un temps pour chaque maillon de la vie, pour l’enfance, pour l’adolescence, pour l’âge adulte. Le pire, c’est qu’on en est à le rappeler.

RICHARD LISCIA

 

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3 réponses à Inceste : la déferlante

  1. Michel de Guibert dit :

    « Les révélations faites par la presse depuis le début du moins sont à cet égard effarantes, dans la mesure où elles montrent de signes avant-coureurs ou des symptômes qui auraient échappé à l’opinion publique », écrivez-vous.
    Ne soyons pas naïfs, il fût un temps, dans les années 70 et début 80, où il était de bon ton dans certains milieux intellectuels de prôner la liberté sexuelle des enfants et de faire l’apologie de la pédophilie, un temps où l’on pétitionnait pour cela, Jack Lang et Bernard Kouchner faisaient partie de ces pétitionnaires à côté de bien d’autres…

    Réponse
    Peut-être ai-je été naïf pour n’avoir pas eu le temps de lire Cohn-Bendit ou Matzneff, ou que m’aient échappé des tribunes dans la presse. Je n’ai jamais su néanmoins que la pédophilie était aussi répandue, et souvent dans le milieu familial.
    R. L.

    • Michel de Guibert dit :

      Oui, vous avez raison, je ne faisais allusion qu’aux milieux bobos bien-pensants pour lesquels il était « interdit d’interdire » et qui se « glorifiaient » des attitudes transgressives, mais l’inceste « honteux » touche bien d’autres familles dans de tous autres contextes et c’est en effet effarant.

  2. Alan dit :

    Merci pour cet article, et pour le dernier paragraphe, parfaitement juste.

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