Coup d’État en Birmanie

Aung San Suu Kyi
(Photo AFP)

Les militaires ont repris le pouvoir en Birmanie. Ils ont arrêté la chef du gouvernement, la célèbre Aung San Suu Kyi, et le président Win Miynt. Les États-Unis et l’Europe ont réagi avec force, en demandant aux militaires de rétablir l’ordre civil.

CE COUP D’ÉTAT militaire présente un avantage unique mais regrettable : il rétablit la vérité sur l’exercice du pouvoir réel en Birmanie (aujourd’hui appelée Myanmar). Il confirme que Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la Paix en 2015, n’a jamais eu les mains libres pour démocratiser son pays, même si le parti qu’elle dirige, la Ligue nationale pour la démocratie, LND, a triomphé aux élections législatives de novembre dernier. C’est même cette victoire qui a incité, semble-t-il, les généraux à effacer un système de compromis entre civils et militaires par un autre, infiniment plus autoritaire. Aung San Suu Kyi n’en reste pas moins l’idole du peuple birman.

Retour à la case zéro.

L’armée est au pouvoir depuis que le père de celle qui devait diriger un jour son pays, Aung San, a été assassiné en 1947, alors quelle n’avait que 2 ans. Les militaires hésitent sans doute à remettre Mme Aung San en assignation à résidence, ce qui a été son statut pendant au moins vingt ans avant que, en 2011, le régime militaire ne s’affaiblisse et ne commence à dialoguer avec elle. En 2015, les élections législatives la portent au pouvoir, tout de même contrôlé étroitement par les généraux. Ils n’ont pas supporté que la LND remporte 81 % des suffrages, et, comme Trump, ils réclamaient un nouveau compte des voix, ce que Mme Aung San a refusé. Le coup de force de la junte constitue donc un retour à la case zéro.

Une vie pour la démocratie.

Mme Aung San bénéficie d’une popularité qui, depuis trente ans, a empêché les militaires de se débarrasser d’elle. Âgée aujourd’hui de 75 ans, elle a épousé un Britannique dont elle a eu deux enfants. Il est mort d’un cancer sans qu’elle ait pu le voir une dernière fois, parce que, disait-elle, « si je me rends en Angleterre, l’armée ne me laissera pas rentrer chez moi ». Son histoire personnelle épouse donc celle de la Birmanie d’après-guerre ; elle a sacrifié sa vie à un projet de démocratisation auquel l’armée a été contrainte de collaborer parce que la popularité de la grande dame du pays la rendait invulnérable. Mais le compromis qu’elle a passé avec les généraux ne les empêchait pas d’exercer en sous-main un pouvoir qu’ils n’ont jamais vraiment quitté. Aujourd’hui, il est clair qu’ils tentent de se passer d’elle. Leur projet se heurte à l’idolâtrie des Birmans pour Aung San Suu Kyi. Ce qui fait craindre que, pour en finir, ils appliquent la solution forte, en l’expulsant de Birmanie ou pire, en l’enfermant dans une cellule. Le fait qu’ils n’aient pas respecté le verdict des urnes suffit à prouver en tout cas qu’ils ré-instaurent un régime autoritaire.

L’affaire des Rohingyas.

Ces dernières années, le monde a été troublé par le comportement d’Aung San Suu Kyi dans l’affaire des Rohingyas, ces musulmans de Birmanie détestés, semble-t-il, par la majorité bouddhiste qui s’est livrée contre eux à un  nettoyage ethnique. Leurs villages ayant été incendiés lors d’attaques qui ont fait beaucoup de victimes, ils ont finalement pris le chemin de l’exil au Bangladesh où ils survivent dans des conditions épouvantables. Or non seulement Aung San Suu Kyi n’a pas bronché quand a eu lieu le massacre, mais elle même tenté de justifier l’expulsion, en attribuant à ces malheureux des tares intrinsèques, comme le font les racistes.

Opprimés ou oppresseurs.

Cette attitude, peu conforme à celle d’une Nobel de la Paix, a dérangé et souvent indigné  les démocraties qui se sont demandé si, entre les généraux et Aung San Suu Kyi, il y avait vraiment une différence. Il semble que oui, puisque les premiers n’ont plus supporté la seconde. Inversement, on peut se demander si prendre la défense de Mme Aung San est judicieux alors qu’elle n’a jamais éprouvé la moindre compassion pour les Rohingyas. L’énigme ne peut être résolue que si elle a un jour la liberté de dire qu’elle a été forcée par l’armée de critiquer un peuple pacifique. En attendant, les opprimés se sont transformés en oppresseurs, ce qui conduit à une réflexion sur  la non-violence des bouddhistes.

Le coup d’État militaire en Birmanie en dit long sur la résurgence de la dictature dans de nombreux pays, comme si la Deuxième Guerre mondiale n’avait pas suffi à rendre inacceptable ce type de régime. Au pays d’Aung San Suu Kyi en tout cas, une petite femme a tenté, avec le soutien de son peuple, de conquérir la liberté à laquelle tous les Birmans ont droit. Pour les membres de la junte, la démocratie n’aura jamais été qu’une pièce de théâtre qui, en définitive, a été très mal jouée par tous les acteurs. Ce qui semble bien confirmer qu’il n’y pas de compromis possible avec la démocratie, celle qui s’appuie sur la règle d’un homme, une voix, sans prévoir l’attribution automatique d’une partie des sièges du Parlement à un groupe de privilégiés.

RICHARD LISCIA

 

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Une réponse à Coup d’État en Birmanie

  1. Laurent Liscia dit :

    Très belle réflexion sur cette femme qui en effet, semble ne pas éprouver pour le sort des Rohingya la moindre compassion – et ce, moins sous l’influence de l’armée que sous celle du clergé bouddhiste officiel de Myanmar qui s’est révélé à la fois raciste et violent, à l’encontre des préceptes bouddhistes. Comme tu le soulignes si justement. Et qui, pourtant, a montré un courage sans égal tout au long de sa carrière, luttant a mains nues contre la junte en place. Nous sommes tous des êtres paradoxaux. On découvrira sans doute un jour que Nelson Mandela n’était pas un saint, et on sait déja que Martin Luther King et Gandhi etaient sensibles aux charmes féminins … en-dehors du mariage. Peut-être avons-nous des attentes déraisonnables de nos héros et héroïnes.

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