Rwanda : un effort de vérité

Mitterrand et Habyarimana en 1984
(Photo AFP)

La commission présidée par Vincent Duclert a remis à Emmanuel Macron un rapport de 1 600 pages qu’il lui avait demandé sur le rôle de la France pendant le génocide du Rwanda en 1994. Notre pays, expliquent les auteurs, n’a pas participé au génocide des Tutsis, mais il s’est rangé au côté des Hutus qui commettaient le massacre.

LE DOCUMENT insiste sur la volonté délibérée du président François Mitterrand de protéger le président hutu, Juvénal Habyarimana, dont il était très proche et qu’il semblait considérer comme un protégé. Cet engagement personnel a été nourri par la mise en place d’un système de contrôle absolu par l’Élysée seul de tout ce que le gouvernement français de l’époque a fait dans le domaine militaire et politique.

Ce qui l’a conduit à une aberration, une forme de négation d’un génocide qui a fait 800 000 morts. Le président rwandais, Paul Kagamé, a toujours exprimé ses soupçons quant à la diplomatie française de l’époque. Emmanuel Macron a donc hérité, entre autres, des mauvaises relations entre Paris et Kigali, qu’il s’efforce d’améliorer, à  la fois pour l’avenir des deux pays et pour apporter aux Rwandais un peu de sérénité fondée sur la vérité des faits.

Mensonge d’État.

On peut certes se poser des questions sur une affaire qui date presque de trente ans, mais d’une gravité insigne, s’agissant du troisième et  dernier génocide du XXè siècle. Mais cette trentaine d’années a été celle du mensonge d’État. Mitterrand, dans son attitude monarchique, n’a jamais cru bon de s’en expliquer. En 1994, il était sur le point de quitter ses fonctions, qu’il avait gardées pendant 14 ans (il est le seul à avoir fait deux mandats de sept ans). Il était aussi très malade. Enfin, l’assassinat de Habyarimana en 1994 (son avion personnel a été abattu par une roquette) a mis en colère le chef de l’État.

Cependant, une démocratie comme la nôtre ne peut s’épanouir dans un contexte de secret et d’effacement des faits, fussent-ils particulièrement horribles. Il faut attribuer au sens de l’honneur du président actuel cette plongée sinistre dans une crise lointaine qui explique néanmoins comment il était facile, pour Mitterrand à l’époque, de falsifier les faits, d’inventer une seconde vérité et de s’acoquiner avec un président corrompu, tout simplement parce qu’il avait plus de sympathie pour lui que pour Paul Kagamé.

Un bon début.

Celui-ci est encore au pouvoir et dirige un pays en progrès économique et social, mais sa longévité politique trahit un mode de gouvernement autoritaire. On n’en a pas fini avec les fantômes du passé qu’on voit clairement se dessiner les travers du présent. En même temps, le président rwandais a expliqué clairement et à plusieurs reprises qu’il exigeait, pour rétablir des relations normales avec Paris, que la France fît éclater la vérité. Le rapport est un bon début et préserve l’avenir au nom du passé. Nous ne saurions oublier en effet les ravages d’un génocide qui a égalé en férocité ses prédécesseurs arménien et juif. Se ranger du côté des bourreaux aura été non pas une erreur mais une faute de Mitterrand. Il n’a pas toujours eu le sens de l’histoire, notamment quand l’Allemagne se réunifiait et qu’il voyait cette réunification comme un danger pour  la France.

L’importance des historiens.

On peut tresser une auréole d’épines à ce président qui s’est fourvoyé, mais il est logique de dénoncer l’aspect dit monarchique de la Vè République qui favorise les comportements incontrôlés du chef de l’État. Toutefois le cas de la crise rwandaise est rare et les chances d’une récidive peu nombreuses. Pas plus que d’autres chefs d’État dans le monde, Mitterrand n’a échappé à une telle révision historique. Le travail des historiens se nourrit de ce qu’ont mal fait les présidents disparus, par exemple John F. Kennedy, encensé après sa mort par une opinion accablée de chagrin, mais dont on a révélé ensuite les frasques sexuelles, les désarrois, les maladies, et un cynisme sans rapport aucun avec les idées généreuses qu’il défendait publiquement.

De la même manière, un président peut laisser, après son passage, une réputation sulfureuse que les historiens, uniquement attachés aux faits, sont susceptibles de rétablir. Pour Macron, inutile d’attendre : son souhait de faire la lumière sur le Rwanda a certes des conséquences sur le souvenir qu’a laissé Mitterrand et peut-être y aura-t-il des gens pour dire que, décidément, avec les socialistes, on peut s’attendre à tout. Ce serait un bien mauvais procès, l’histoire peu banale de la séduction exercée par un président rwandais sur un président français n’étant pas appelée à se renouveler.

RICHARD LISCIA

 

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