Buzyn devant la CJR

Agnès Buzyn
(Photo AFP)

Ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn a été convoquée aujourd’hui par la Cour de Justice de la République (CJR) pour y subir un interrogatoire au sujet du rôle qu’elle a joué en 2019-2020 dans la pandémie de Covid-19. D’autres ministres, dont le Premier, Édouard Philippe, seront également interrogés par la CJR. 

LES CONSÉQUENCES judiciaires de la gestion du virus par le gouvernement ne doivent pas être prises à la légère : 14 500 plaintes ont été déposées contre différents personnages de l’État et la Cour de cassation, présidée par François Molins, n’en a retenu que 9. Assez pour briser la carrière politique d’Édouard Philippe, d’Olivier Véran, de Sibeth N’Diaye et de beaucoup de gens qui n’étaient en réalité que des exécutants. Dans cette affaire elle aussi, la justice croit jouer un rôle essentiel et apporter sa contribution à la manifestation de la vérité. Mais on va voir que cet épisode judiciaire du vaste récit de la pandémie risque de paralyser n’importe quel exécutif, quelle que soit soit sa couleur politique.

Séisme : à qui la faute ?

Empressons-nous de signaler qu’aucun des personnages visés par les plaintes n’a souhaité que le virus s’implante en France, que tous ont fait de leur mieux pour éviter le décès des malades, même si on dénombre à ce jour plus de 115 000 morts dans notre pays. Dans ces conditions, on pourrait s’en prendre à des ministres pour n’avoir pas prévu un séisme et ses conséquences, une catastrophe ferroviaire ou un carambolage. Pire : la transformation d’un événement naturel en crime commis par l’État fait peser une épée de Damoclès sur la tête de toute personne éligible. Un peu comme si une fusillade dans un quartier de la drogue était imputable au maire de la ville.

On peut donc s’étonner du comportement de la CJR qui aurait pu classer les plaintes sans suite. L’imbrication de plus en plus fréquente de la justice et de la gestion politique crée un malaise dans le pays. Des magistrats nommés ne sauraient disposer d’une supériorité quelconque sur des élus. On a déjà vu, à propos du Sida, que le mise en examen de Laurent Fabius parce qu’il avait été Premier ministre à l’époque de cette épidémie fut considérée comme une forfaiture. Et, si n’importe quel citoyen lambda porte plainte contre un autre, pourquoi les vaccinés ne feraient-ils pas un procès massif aux non-vaccinés sous le prétexte que ces derniers vont les contaminer ?

Une mascarade.

Il est incontestable que Mme Buzyn, au cours d’une période-charnière allant de décembre 2019 à la fin de février 2020, a eu un comportement surprenant, affirmant qu’elle savait tout avant tout le monde, quelle avait informé le gouvernement qui n’aurait pas réagi. Ce qui ne lui a valu aucun reproche d’Édouard Philippe qui l’a placée à la tête d’En marche dans les cadres des élections municipales qu’elle a perdues, non sans avoir dit d’abord que le scrutin était une « mascarade » et qu’elle avait souhaité un report de ce rendez-vous électoral pour cause de pandémie. À n’en pas douter, elle a aujourd’hui le loisir d’expliciter sa pensée, confuse et contradictoire, de l’époque. Elle s’en est félicitée, avant de répondre aux questions. De là à briser sa carrière sous le prétexte que ses choix stratégiques en matière de lutte contre le virus n’étaient pas les bons, il y a un pas que la CJR devrait s’interdire de franchir.

Périple dans l’absurdité.

Elle peut retirer ses propos de l’époque, en les expliquant par une émotion sincère qui aurait fait déraper son discours ; elle peut aussi les confirmer, ce qui mettra ses anciens collègues dans le plus grand embarras. Il n’est nullement impossible que la CJR choisisse de pousser jusqu’à son terme son périple dans l’absurdité et condamne quelques-uns des personnages visés par les plaintes. Ce serait une très mauvaise nouvelle pour la politique et la démocratie en France. On voudrait détruire le terreau de quelques belles carrières politiques que l’on ne s’y prendrait pas mieux. Ce n’est même pas un sujet idéologique, mais une forme de dépérissement d’une démocratie au sein de laquelle toute décision ou mesure de quelque exécutif que ce soit finirait dans une troisième chambre, celle de la justice. Les fonctionnaires en ultimes arbitres électoraux. Est-ce bien sérieux ?

RICHARD LISCIA

PS- Après neuf heures d’audition, Agnès Buzyn a été mise en examen.

 

 

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4 réponses à Buzyn devant la CJR

  1. Dominique S dit :

    Tous les médecins sont prévenus au début de leurs études : la pire des sanctions en cas d’erreur, est de retrouver sa photo en première page des journaux. Je suis pleinement d’accord avec vous, Madame Buzyn ne méritait pas cela. Espérons que la justice soit objective et reconnaisse l’absence de faute caractérisée. Depuis fin 2019, tout le monde a pataugé et continue de patauger. Quand l’épidémie a touché l’Italie, qui en France imaginait vraiment la suite ? Les ministres sont des humains comme les autres.

  2. LALOUM dit :

    Je vous lis depuis très très longtemps. J’adhère à la plupart de vos analyses, et je les respecte infiniment.
    Nous sommes à 115000 morts et à un an et demi du début de l’épidémie.
    Concernant les dirigeants actuels, concernant la persistance d’erreurs à partir de quand doit-on estimer que « persévérer est diabolique » ?
    Ces fautes, qui vont jusqu’à l’absence de consignes d’ouverture des vitres dans les métros et les bus, jusqu’où sont-elles pardonnables par les victimes du Covid et leurs proches ?
    Encore merci pour vos analyses.
    Laurent Laloum
    PS : Le QdM m’a déjà donné l’occasion de détailler cela :

    https://www.lequotidiendumedecin.fr/courriers-des-lecteurs/covid-les-fautes-les-erreurs-et-les-omissions-du-gouvernement

    https://www.lequotidiendumedecin.fr/courriers-des-lecteurs/empathie-respect-et-pedagogie-ce-qui-manque-dans-la-seringue-du-vaccin

    Réponse
    47 millions de Français sont entièrement vaccinés. Faut-il jeter en prison ceux qui sont responsables de ce bilan ?
    R. L.

  3. Dominique S dit :

    La vraie question est : à ce jour, le bilan Covid en France est-il meilleur ou moins bon que celui des autres pays ? J’ai plutôt l’impression qu’il est meilleur. Alors, si des dirigeants et leurs ministres de la Santé doivent aller en prison, par qui on commence ? Et si Laloum avait été ministre de la Santé fin 2019, aurait-il fait mieux qu’Agnès Buzyn ? Et si Laloum avait été ministre de la Santé en 2009, aurait-il fait mieux que Roselyne Bachelot ? Et pourquoi les tours jumelles n’ont elles pas été prévues pour résister à des impacts de Boeing ?

  4. Laurent Liscia dit :

    Le bilan français est dans le peloton de tête des démocraties. Moins bien qu’Israël. Mieux que les États-Unis.

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