Iel et iels

Le dico, c’est la culture
(Photo AFP)

Le Petit Robert a décidé d’inclure le pronom iel dans son vocabulaire. Il en fournit même le pluriel, iels, et cela pour mieux décrire une société en constant mouvement qui souhaite donner leur part aux personnes dont la sexualité est diversifiée.

IL N’Y A PAS de quoi s’indigner ni d’en faire une exégèse. Il faut rendre hommage à un éditeur qui a pris conscience de l’extrême complexité de la société d’abord, de la sexualité ensuite. En outre, l’innovation est de nature pacifique, elle poursuit l’effort d’inclure des minorités peu nombreuses mais actives. Comme quoi, tout est vraiment politique, même ce qui donne du fil à retordre à la majorité des gens, ceux qui n’ont pas encore compris que la France et sa langue ne sont pas simples.

De son temps.

Certes, l’apparition de iel nous renvoie au débat sur l’écriture inclusive, sorte de barbarie démocratique qui ridiculise la langue sous le prétexte de protéger le genre féminin. Mais un jugement sensé risque de vous conduire dans l’enfer de l’anti-féminisme, dont la température est dix fois plus élevée que celui de Dante. Le problème, avec le féminisme, c’est son côté sacerdoce, sacré, qui ne supporte pas le moindre sourire ironique, y compris chez les hommes qui se sont rangés docilement et délibérément sous la bannière féministe.

À peine oserai-je donc, dans ces conditions,  discuter du pluriel proposé par l’excellent directeur général des éditions Le Robert, Charles Bimbenet, qui, tout en reconnaissant l’émotion qui a gagné les réseaux sociaux et les médias, explique avec une noble simplicité qu’il faut être de son temps. J’estime toutefois que iels est moins approprié que ieux, de même que le pluriel de lui est eux. C’est tout l’art du pluriel qui ne s’exprime pas uniquement avec un s, comme à la troisième personne des verbes anglais. Et pour le féminin, on dirait ielles. J’ouvre une porte mais sans doute me trompé-je. Ieux, en effet, évoque d’autres adaptations à la modernité, l’une plus compliquée que l’autre.

La perplexité d’un Ouzbek.

Par exemple, on risque de devenir hermétique si on parle des yeux d’ieux. Pour échapper à cette involontaire résonance, ne faudrait-il pas choisir miel, dont le pluriel serait mieux ? On pourrait faire des phrases bizarres mais poétiques,  comme la suivante : «Miel se sent mieux avec mieux qu’avec miels». En conséquence, il est préférable de laisser faire les dictionnaires et l’Académie, parfaitement équipés pour adhérer à l’évolution du langage. Et priver ainsi quelque Ouzbek en visite à Paris de l’occasion de se plaindre d’un français qu’il ne parvient plus à suivre. Il ne comprendrait pas que des ieux nostalgiques se recueillent sur la tombe de Pétain à l’île d’Yeu.

Comme Dieu en France.

Les touristes entichés de notre merveilleux pays, c’est-à-dire iels, des étrangers, se sentiraient alors comme « Dieu en France », ainsi que les juifs appelaient notre contrée avant Vichy. Aussi bien pourquoi ne pas créer le pronom diel, pluriel dieux, (et surtout pas diesel) ? Ou encore s’emparer de liel, pluriel lieux, qui nous éviterait le débat religieux ? Je ne souhaite pas en faire tout un tintamarre, mais le pluriel iels me rend extrêmement sceptique. Ieux est infiniment plus convenable, même si on ne sait pas s’il s’agit des yeux ou d’yeux. Bref, il est temps pour moi de quitter une polémique à laquelle je n’ai pas été invité et dans laquelle je n’ai pu introduire que ma vulgaire façon de réinventer le vocabulaire. Adieu, les amis.

RICHARD LISCIA

 

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2 réponses à Iel et iels

  1. Alan dit :

    Pour vous rassurer : nous sommes nombreuses, parmi les femmes, à ne pas aller dans ce sens et à aimer les hommes, y compris les blancs et y compris les « straight » !

  2. Laurent Liscia dit :

    Je suis l’un de ces hommes dociles, par désir de faire miel. Euh, mieux. Ciel !

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