Ukraine martyre

Manifestants en Hollande la semaine dernière
(Photo AFP)

Personne n’est en mesure de réfuter l’implacable vérité : l’Ukraine se bat désespérément contre la Russie et subit des pertes en hommes et femmes et en destructions intolérables. Les explications que des personnes bienveillantes envers le régime de Vladimir Poutine donnent de ses motivations n’en sont que plus coupables.

KIEV encerclée, Marioupol et Karkhiv à genoux : un million et demi d’Ukrainiens ont quitté leur pays et tentent de rejoindre un endroit sûr. Des bombardements incessants ont défiguré le pays, le nombre de victimes dans les deux camps augmente tous les jours, preuve que la résistance ukrainienne se sacrifie à son devoir, ce que Poutine, qui avait annexé la Crimée sans coup férir, n’a pas compris : il ne peut pas réitérer son exploit stratégique cette fois, parce que, aux yeux d’un peuple qui se veut libre, la coupe est pleine. Douze jours qu’il assène des coups de plus en plus durs, qu’il incendie des immeubles où vivent des civils, qu’il les prive d’eau, de chauffage, d’électricité et bientôt de nourriture. Pour les Ukrainiens, c’est une descente aux enfers, pour la Russie, c’est l’isolement presque total, une réputation à vomir,  un discours scandaleux.

Jugements scélérats.

Le mensonge imprègne le langage quotidien du maître du Kremlin, par exemple sur les deux évacuations manquées de Marioupol, que Poutine attribue à la non application des cessez-le-feu par les Ukrainiens. Puis, l’ordre d’exil vers la Biélorussie ou la Russie, comme si les foules de civils devaient immédiatement subir le joug russe, démontre la mesquinerie, la férocité, le désir de punir la moindre velléité de liberté par des actes qui sont autant de jugements scélérats.  M. Macron a dénoncé aujourd’hui « le cynisme moral et politique » de Poutine, qui prétend acheminer les exilés vers la prison.

Aider les Ukrainiens, certes, mais en évitant toute provocation qui pourrait conduire à une guerre mondiale. Il y a ceux dont le projet politique se moque du sort des Ukrainiens et il y a ceux qui, comme Bernard-Henri Lévy, exigent, au nom de l’histoire, que l’Occident entre en guerre avec la Russie. Est-ce bien raisonnable ? Citer Churchill : « Ils ont préféré avoir le déshonneur pour éviter la guerre, ils ont eu les deux » n’est-il pas anachronique ? En 1938, la dissuasion nucléaire n’existait pas. Depuis que les grandes puissances en sont dotées, elle ne peut être utilisée et à quel prix, sans causer des plaies indélébiles à l’agresseur et à l’agressé à la fois.

Avions russes.

L’émotion est telle que les « idées géniales » et les déclarations irresponsables se multiplient. Poutine ne serait mis en échec militairement que s’il calculait encore les enjeux, ce qui n’est pas certain. Il y a un débat sur les avions militaires que détiennent les pays de l’Est et qui sont familiers pour  les pilotes ukrainiens. Mais Poutine, qui a cru bon de lancer un avertissement solennel au cas où l’Ukraine était admise dans l’OTAN, menace d’étendre la guerre s’il trouve dans le ciel de l’Ukraine des  appareils russes qui menaceraient ses armées. Il faut donc établir un équilibre entre les gestes qui lui feraient peur et ceux qui augmenteraient son délire. On a compté les fois où Macron et d’autres chefs d’État ou de gouvernement ont appelé Poutine, juste pour s’entendre dire qu’il conquerrait l’Ukraine dans sa totalité. C’est son quoi qu’il en coûte et, effectivement, cela lui coûtera très cher.

Un projet européen.

Mais s’il crée un fait accompli, l’Ukraine sera soumise à Moscou pendant des décennies. On peut jouer le droit, la considérer comme un pays indépendant et négocier avec elle son entrée dans l’Union européenne, on est sûr de déclencher un énorme accès de colère chez Poutine sans améliorer le sort des Ukrainiens. C’est un projet réalisable seulement si les Ukrainiens sont capables de résister indéfiniment, si Volodymyr Zelensky reste introuvable mais continue à distribuer ses ordres, si les forces Russes en Ukraine continuent d’être harcelées, ce qui prouvera que la soldatesque n’a pas fini le travail.

Notre sort en question.

On n’exprimera jamais assez l’admiration que nous inspire le courage de ces femmes et de ces hommes que l’on croyait incapables de se défendre après l’invasion de la Crimée. Ils nous donnent une leçon historique, ils livrent une bataille qui restera dans les annales, ils se situent au-delà de la vie et de la mort. Nous ne les soutiendrons jamais assez. Nos calculs savants, la psychanalyse de pacotille que nous appliquons à la brute du Kremlin, nos algorithmes sur le prix des carburants, nos supputations sur l’avenir, tout cela montre que, si nous avons été sidérés par cette guerre infâme et injuste, nous n’en avons pas encore subi les conséquences. Ni l’Europe ni l’OTAN n’ont souhaité cette guerre. Ni l’Europe ni l’OTAN ne la livrent. Et pourtant, notre sort est en question.

RICHARD LISCIA

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4 réponses à Ukraine martyre

  1. Laurent Liscia dit :

    C’est le spectacle d’un pays comme le nôtre, anéanti par le fascisme, en temps réel, au XXIème siècle, a deux pas de chez nous. Deux des candidats à la présidence sont des admirateurs (trice) de Poutine. La barbarie est bien vivante, et elle fleurit parmi nous. Il faudrait commencer par faire notre propre bilan moral, et par défendre nos propres institutions, menacées de l’intérieur par Marine le Pen, Mélenchon, l’islamo-gauchisme, et pire encore, Zemmour. Il est bon de les nommer et de s’en souvenir.

  2. Jerome dit :

    Cette guerre est le dernier soubresaut de la décadence de l’Europe des nations et des nationalismes débutée en 1914.
    Le peuple russe fait partie intégrante, de part la génétique des populations et de son histoire du continent européen.
    Puissions enfin, si nous nous sommes pas détruis d’ici là, nous unir pour faire face au prochain grand défi, la Chine

    Réponse

    Relevons d’abord le défi de Poutine, l’homme le plus dangereux du monde. L’Europe n’est pas décadente, elle défend notre sécurité.
    R. L.

  3. Michel de Guibert dit :

    « Si le peuple ukrainien désirait effectivement se détacher de nous, nul n’aurait le droit de le retenir de force…
    Il faut choisir clair et net : entre l’Empire, qui est avant tout notre propre perte, et le salut spirituel et corporel de notre peuple. »
    Soljenitsyne

    « Jamais, en aucun cas, ni moi ni mes fils ne participerons à un conflit russo-ukrainien, même si certaines têtes brûlées nous y poussent. »
    Alexandre Soljenitsyne

  4. Michel de Guibert dit :

    Le Kremlin justifie son invasion de l’Ukraine en affirmant que ce pays ne ferait qu’un avec la Russie ; il est en train de faire naître à partir d’un peuple composite une véritable nation ukrainienne !

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