Gorbatchev, ou la nostalgie de la paix

Gorbatchev il y a cinq ans
(Photo AFP)

La mort à 91 ans de Mikhaïl Gorbatchev, homme de paix, au moment où la Russie mène une guerre féroce contre l’Ukraine, ressemble à une facétie du destin.

CE QUE L’ON sait de Gorbatchev, c’est qu’il voulait la paix tout en protégeant la puissance de la Russie. Les leaders occidentaux ont tous regretté sa disparition, ce qui n’a pas empêché Vladimir Poutine de faire son éloge, dans lequel on décèlera beaucoup d’hypocrisie : le patriotisme de Gorbatchev ne l’a jamais conduit à menacer, ne fût-ce que verbalement, les Occidentaux. Et sans doute n’a-t-il jamais approuvé l’invasion de l’Ukraine, même s’il la considérait comme partie intégrante de la Fédération de Russie.

Deux mots-clés.

À Gorbatchev sont associés deux mots-clés : perestroïka (réforme) et glasnost (transparence) qui décrivaient l’architecture de son projet censé moderniser la Russie et lui rendre ses libertés. S’il a échoué, c’est parce que la disparition du bloc soviétique lui interdisait de rester au pouvoir. Il n’a pas, au demeurant, soutenu son successeur, Boris Eltsine, qu’il détestait. Mais quand Vladimir Poutine a commencé à construire un système dictatorial, il ne s’est pas franchement opposé.

Impopulaire.

La mort de sa femme en 1999 l’a anéanti. Huit ans plus tôt, il avait démissionné de son poste à la suite d’une tentative de coup d’État qui avait échoué. À partir de là, il s’est transformé en commentateur de la vie politique russe. Son passage au pouvoir ne l’a pas rendu populaire. Si ses partenaires étrangers gardent de lui un souvenir lumineux, les Russes lui ont toujours reproché la période chaotique qui a suivi la chute du mur de Berlin.  Au fond, ce sont les réformes de Gorbatchev qui les ont humiliés et ils lui en reprochaient les conséquences, alors qu’il les a relativement protégés.

Poutine renforcé.

Pour rien au monde, Gorbatchev ne se serait maintenu par le force au pouvoir. C’est pourtant ce que le monde aurait souhaité s’il avait su comment la disparition du communisme a donné lieu à l’apparition d’une dictature totalitaire de type hitlérien. La mort de Gorbatchev, prix Nobel de la paix, renforce un peu plus le régime de Poutine, qui n’a plus à subir les commentaires de son prédécesseur sur la glasnost et les choix pacifiques que la Russie n’a pas voulu faire. Ainsi s’est brisé le miroir dans lequel Poutine pouvait encore contempler ses tares.

Patriotisme russe.

L’explosion du bloc soviétique a été une sorte de big bang qui a pris Gorbatchev de vitesse. Il avait commencé à mettre en œuvre ses réformes quand le mur de Berlin s’est écroulé et le fracas historique de cet événement a emporté ses propres projets : les Russes n’avaient pas encore savouré les effets de la glasnost qu’ils affrontaient une tempête comme ils n’en avaient jamais connue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Peut-être aussi Gorbatchev a-t-il négligé le patriotisme russe. Le peuple ne lui a pas pardonné sa gestion de la chute du communisme.  Il n’a jamais surmonté le malaise qu’il éprouvait face à un pur produit du communisme soviétique qui en est devenu l’ennemi.

Un réformiste dans l’âme.

En s’attaquant à un alcoolisme endémique, il n’a pas trouvé que des gens consentants. Or Gorbatchev souhaitait réformer sans réprimer, changer les mœurs russes sans verser une goutte de sang, bref, assurer un changement profond sans la moindre violence. La hauteur de ses ambitions se situait, semble-t-il, à une hauteur inaccessible. Les Russes, eux, voulaient obtenir quelques libertés sans céder un pouce de leur statut de grande puissance. On se souvient des paroles du président des États-Unis de l’époque : « Monsieur Gorbatchev, s’il vous plaît, abattez ce mur ! ». Le vœu de Reagan ne fut exaucé qu’un peu plus tard, mais avec des conséquences historiques aussi négatives que positives.

Un Poutine venu du désordre.

L’Occident n’a pas aidé Gorbatchev autant qu’il aurait pu le faire. En tout cas, il n’a pas compris que, pour enterrer l’ancien système, il fallait en créer un capable de garantir non seulement les libertés mais la prospérité. Les Américains, par exemple, n’ont vu dans la chute du mur qu’une formidable occasion d’affaiblir l’URSS et donc de participer à son démantèlement. Il était pourtant évident que la stabilité et un peu de prospérité auraient probablement empêché l’avènement de Poutine, arrivé pour mettre de l’ordre dans le chaos laissé par Eltsine. La rechute de la Russie fait d’elle la menace la plus grave pour la paix depuis 1945.

RICHARD LISCIA

 

 

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Une réponse à Gorbatchev, ou la nostalgie de la paix

  1. Laurent Liscia dit :

    L’occident ne parvient jamais à crèer des projets de remplacement: Irak, Afghanistan, Mali. Ce n’est pas son rôle. Historiquement, les systèmes occidentaux ont été imposés par la force à travers le colonialisme ou la victoire militaire comme au Japon et en Allemagne. Curieusement, ce sont ces systèmes-là qui ont le mieux survécu, quand ils ont ete bien pensés, et bien gérés localement. Qui a les moyens de se payer un projet « non-colonialiste » qui puisse durer des décennies? Qui aurait pu accompagner la Russie dans un exercice de démocratisation, elle qui n’a jamais connu la démocratie ?Tout ce qu’on peut faire, c’est soutenir les gens qui ont de bonnes idées (Navalny), et s’opposer fermement aux gangsters comme Poutine.

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