Le monde sans Tesson

Un homme "magique" (Photo AFP)

Un homme « magique »
(Photo AFP)

À ceux qui n’auraient pas lu notre newsletter en ligne hier, j’ai décidé de consacrer ma chronique du jour à la disparition de Philippe Tesson, co-fondateur du « Quotidien du médecin » avec son épouse, le Dr Marie-Claude Tesson-Millet. Exercice qui démontrera la richesse de la vie professionnelle et culturelle qu’il a eue.

LES JOURNAUX quotidiens présentent l’avantage d’exister le lendemain du jour où ils sont conçus, et l’inconvénient d’être anéantis par les publications du jour d’après. Ils sont à la fois instantanés et éphémères, de sorte que le triomphe ou les erreurs d’un jour sont effacés par le rythme de leur parution. Depuis la presse papier, la course aux nouvelles s’est intensifiée avec la radio et la télévision, puis les réseaux sociaux. Ceux d’entre les journalistes dont la carrière s’est déroulée après la Deuxième guerre mondiale garderont le souvenir d’une période légendaire.

Un courant rédacteur-lecteur.

Rien ne se passerait, aujourd’hui comme auparavant, si des femmes et des hommes courageux ne prenaient des risques financiers. Le plus souvent, la presse papier est naturellement déficitaire. Philippe Tesson étaient l’un de ces hommes. Il croyait qu’en offrant au lecteur une autre vision de la réalité quotidienne, on affranchirait les journaux des menaces technologiques qui pèsent sur eux. Aujourd’hui encore, le besoin est grand d’un journal qui, sans être exhaustif et ennuyeux, contribue à la réflexion du lecteur sur le long terme. Ce qui compte avant tout, c’est que le lecteur s’enrichisse en lisant. En fait, le courant qui circule entre l’écrit et celui qui le lit passe par l’émotion. Le journaliste qui rédige un article doit bien sûr contenir ses propres passions, mais il doit réanimer un lecteur indifférent.

L’affaire « Repubblica ».

Philippe Tesson est la rencontre d’un homme avec un métier. Il a fondé le Quotidien du médecin pour apporter un soutien au Quotidien de Paris. Il a été rapidement à la tête d’un groupe de presse, avec le Généraliste, le Quotidien du maire, le Quotidien du pharmacien et les Nouvelles littéraires. En 1975, il se plaignait de la stagnation du Quotidien de Paris. Que faire pour grossir les rangs des lecteurs ? Après la mort de Salazar, le Portugal cherchait sa voie entre une extrême gauche communiste et des socialistes libéraux. Un quotidien de Lisbonne, « la Repubblica » était interdit de parution par les ouvriers du Livre soutenus par l’armée. Tesson décida de publier en France et en français le dernier numéro en date qui n’était pas sorti des presses.

Éclairs de génie.

Il me chargea d’aller chercher la copie portugaise à Lisbonne. Je revins avec les articles de mes confrères, nous les publiâmes, ce qui valut à notre journal une notoriété nouvelle assortie d’une vive hausse des ventes. C’était son idée, et mon fait d’armes. Ces choses-là ne se produisent que sous l’effet de grandes émotions. Je me souviens des militaires armés qui nous tenaient en joue, du refus du rédacteur en chef de « la Repubblica »de me remettre son éditorial (il ne comprenait pas notre objectif, mais il a fini par accepter), de la vitesse à laquelle les textes furent traduits. L’épisode souligne l’inventivité créatrice de Philippe Tesson,  mais il a eu d’autres éclairs de génie que je ne peux pas tous raconter.

Un magicien.

Ce que j’ai appris de ses méthodes, c’est que si une entreprise vous paraît impossible, c’est juste le moment de l’accomplir. Tesson a toujours été autre chose que ce que l’on croyait qu’il était. Un musicien qui s’est amusé à conduire un orchestre ; un père de famille formidable, toujours disponible pour ses enfants, un époux qui avait fait de sa femme une journaliste exemplaire. J’ai rêvé une nuit que nous étions ensemble dans une voiture minuscule et qu’il traversait les murs. J’en ai fait le récit à mon fils qui réagit sans manifester la moindre surprise. « C’est une séquence magique, mais Tesson, hors du rêve,  est magique ». Il suffisait en effet d’observer cet homme au regard bleu étincelant, parfois difficile à supporter, pour comprendre qu’il était différent, unique, d’une élégance et d’une classe qui deviennent des denrées rares.

 

RICHARD LISCIA 

 

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Une réponse à Le monde sans Tesson

  1. Jean Vilanova dit :

    C’est vrai qu’il pouvait être pénible et de mauvaise foi… mais toujours avec un panache. Jamais méchant, il n’en déchiquetait pas moins avec une évidente gourmandise les lourds orphéons de médiocres qui nous étouffent. A l’entendre et le lire, j’avais l’impression qu’il me forçait à l’intelligence. Un vrai maïeuticien, tellement brillant. Il nous laisse Sylvain, un pur, comme son père.

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