Une atteinte aux libertés

Geoffroy Lejeune en 2019
(Photo AFP)

La nomination de Geoffroy Lejeune à la tête du Journal du dimanche a déclenché une grève de la rédaction qui n’est pas paru dimanche dernier. L’orientation du JDD vers l’extrême droite explique l’inquiétude des journalistes.

CONCURRENCÉE par la radio et par la télévision, la presse écrite décline en France depuis des décennies. Ceux qui y travaillent n’en ont que plus de mérite : ils s’accrochent à un métier qui protège la diversité des opinions et permet au lecteur de réfléchir pour son propre compte. Le déclin des journaux n’a rien à voir avec une baisse de qualité. Il permet à des investisseurs de s’emparer à bon compte de publications en difficulté. C’est ce qui se passe avec Vincent Bolloré, tout-puissant patron qui se contente d’une vision purement mercantile des journaux qu’il acquiert.

L’affaire Obono.

Geoffroy Lejeune est ce journaliste de « Valeurs actuelles » qui a publié une sorte de dossier scélérat sur Danièle Obono, de la France insoumise, qu’il a dépeinte sous la forme d’une esclave. Le contenu raciste de ce document n’est pas à démontrer. C’est probablement cet excès de zèle emprunté à Éric Zemmouur qui lui vaut aujourd’hui sa promotion. Sauf qu’un patron est propriétaire d’un journal, pas des consciences de ceux qui le font. Les journalistes du JDD ont vite compris que, avec M. Lejeune, ils n’auraient pas la liberté de s’exprimer.

Un message unique.

M. Bolloré, avec deux ou trois autres « tycoons », est convaincu que M. Lejeune saura traduire les idées du propriétaire. Ce genre de malentendu arrive nécesairement quand le patron de presse n’est pas journaliste, n’écrit jamais rien et a les idées que dictent ses intérêts. Le JDD a gagné la place qu’il occupait jusqu’à présent par la qualité de ses articles et par la diversité de ses tribunes. Voilà qu’il est voué maintenant à délivrer un message unique, celui de l’intolérance. Dans l’opinion et jusqu’au gouvernement, l’émotion est vive : ce n’est plus l’acquisition d’un bien, c’est la suppression d’une des voix de la liberté.

Articles et pommes de terre.

Il y a très longtemps qu’existe cette contradiction entre le désir de publier un journal libre et son financement. Ceux qui ont les moyens de se payer un quotidien ou hebdo ne sont pas des artistes. Ils confondent les articles avec des pommes de terre. Tout le monde sait ça, sauf les Attila de la presse qui savent comme personne la démolir. C’est un problème compliqué qui expose un métier difficile mais parfois merveilleux quand il produit de la vérité, à une vulnérabilité que les journalistes et surtout les anciens ressentent dès leur premier emploi.

La loi du plus fort.

La nomination de Geoffroy Lejeune est un cas d’école : il fait carrière, bien sûr, mais il la fait en contribuant à la disparition progressive de son propre métier. Il s’enorgueillit d’avoir remporté une nomination rare, il ne se pose pas la question de savoir de ce qu’il fera de son pouvoir. Ses journalistes se posent la même question inquiète. Ils ont assez de bonheur à écrire pour ne pas se fourvoyer dans une mésaventure classique. Ils ont beaucoup de courage à se mettre ainsi en danger. Mais la loi du plus fort risque de les écraser. On ne peut que les soutenir pendant l’épreuve mais le gouvernement, comme l’opinion, est à court de moyens pour parer cette injustice.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à Une atteinte aux libertés

  1. Jean Vilanova dit :

    Jeune, je me rêvais journaliste de plume avant de m’orienter vers un autre métier, au fond pas très éloigné quant à sa substance : un métier où il importe de se méfier de l’évidence, où il faut user du verbe juste, argumenter, expliquer, susciter chez le lecteur ou l’auditeur le désir d’approfondissement, en appeler constamment à son intelligence… Je suis devenu juriste, plongeant avec passion dans le Droit. Durant des décennies, j’ai expliqué, enseigné cette belle matière dans le respect de telles convictions. Quant à la presse écrite, aussi loin qu’il m’en souvienne, j’y consacre nombre de mes nuits. De droite, de gauche, j’ai d’abord aimé Combat, j’ai aimé Pierre Lazareff, Lucien Bodard, Philippe Tesson, Raymond Aron et tant d’autres. J’ai aussi aimé Le Monde dont je fus un lecteur quasi-quotidien depuis l’âge de 18 ans, à l’orée des années 70. Je dus lui pardonner ses quelques très graves dérives comme par exemple le salut pour le moins enthousiaste de l’arrivée des khmers rouges à Phnom-Penh mais je finis par lâcher l’affaire après sa prise de commande en 1994 par le trio Colombani-Plenel-Minc. Trop de distance prise, en effet, avec l’esprit de son fondateur, l’irascible et passionnant Hubert Beuve-Mery tout à sa querelle avec le général De Gaulle, une querelle de géants en vérité ! L’infernal trio avait transformé mon « journal de référence » en une caricature sournoisement agressive de la bien-pensance. Et s’il y a une chose que je déteste, c’est que l’on m’impose le kit du bien-penser. Pour le reste, et pardonnez-moi ce ressassement à propos du Monde qui traduit sans doute une rupture jamais vraiment digérée, plus que jamais, dans la confusion des discours, des idées et des multiples menaces qui pèsent sur notre Humanité, nous avons besoin d’un journalisme ouvert, diversifié, libre auquel nous confronter. C’est une incommensurable responsabilité que d’endosser l’habit de journaliste. Mais quelle banalité de ma part de l’exprimer ainsi !

  2. Elie Arié dit :

    Il reste à répondre à deux questions :

    1-Qu’est-ce qui peut motiver un homme d’affaires à s’acheter un organe de la presse écrite : ce ne peuvent être les bénéfices escomptés, il y a de meilleurs placements.

    2- Qui fixe la ligne éditoriale d’un organe de presse ? Car il en faut bien une, chaque journaliste ne peut avoir la sienne.

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