La banalisation du crime


Manuel Valls, aujourd’hui à Échirolles
(Photo AFP)

À Échirolles, près de Grenoble, deux jeunes gens, Kevin et Soufiane, ont été assassinés par une bande de voyous venus venger un de leurs camarades qui aurait été humilié par Kevin. Le gouvernement a vivement réagi. François Hollande est allé sur place lundi soir pour réconforter les familles des victimes. Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur, s’est rendu à Échirolles mardi matin. L’enquête est conduite à vive allure et la police a déjà procédé à des interpellations.

TOUT CITOYEN qui apprend qu’une nouvelle rixe s’est produite ou qu’a eu lieu un règlement de comptes réagit avec une lassitude qui nuit à sa compassion. L’absurdité de l’enchaînement des faits qui ont conduit à la mort des deux jeunes gens a provoqué une immense émotion en France, mais la criminalité sollicite chaque jour un peu plus l’indignation populaire, et elle finit par se banaliser. Le gouvernement ne s’autorise à aucun manquement à ses devoirs. D’une part, parce que, à chaque tragédie, la douleur d’une famille est indicible ; d’autre part, parce que les socialistes veulent désormais se montrer exemplaires en matière de sécurité.

Manuels Valls a agi avec la fermeté qu’on lui connaît désormais. Il a fait d’Échirolles une zone prioritaire de sécurité (ZPS). Il a accéléré l’enquête qui commence à produire des résultats en ce sens que la police est sur la piste des assassins et se donne tous les moyens scientifiques pour les confondre. On veut bien admettre que le ministre de l’Intérieur ne lâchera pas prise tant que la police et la justice ne seront pas parvenues au bout de l’enquête et que le gouvernement n’aura pas la « naïveté » que, dans un accès de contrition, Lionel Jospin avait reconnue quand il était Premier ministre. Comme M. Valls, nous souhaitons tous que le crime ne reste pas impuni. Mais, comme M. Valls, nous discernons fort bien les difficultés de sa tâche, qu’il ne peut accomplir qu’en obtenant beaucoup de moyens. Même s’il crée des ZPS, il ne peut pas les étendre à toute la superficie du territoire ; même s’il a rétabli la police de proximité, il ne disposera que de quelques milliers d’agents supplémentaires ; même s’il demeure intraitable, son action à l’Intérieur n’est peut-être pas tout à fait compatible avec celle du ministère de la Justice, qui s’oriente visiblement vers le plus grand nombre de dépénalisations.

Une question d’éducation.

Nous n’aurons même pas la tentation d’entrer, à ce sujet, dans la critique des dispositions prises par la garde des sceaux, Christiane Taubira. Car il nous semble évident que, en deux ou trois décennies, la société française est passée du civisme à l’incivisme, et de la sérénité à la violence. Nous connaissons les causes profondes de cette évolution désastreuse. Si les jeunes ne reçoivent pas ou n’absorbent pas l’éducation qui leur est dispensée, ils seront livrés à eux-mêmes et donc exposés aux pires des tentations. Ce qui a secoué la France dans l’affaire d’Échirolles, c’est la robotisation de la violence. Ces jeunes déboussolés ne réfléchissent plus. Ils ne craignent ni ce qui est interdit, ni les conséquences de leurs actes, ni l’enchaînement fatal d’une expédition punitive. La vengeance est infiniment plus forte que le prétexte qui lui a donné naissance. Un regard de travers mérite la peine capitale.

On n’est donc pas fier de récrire ces mots, absurdité, folie, sauvagerie. Ils essaient, sans y parvenir, de décrire un  acte exceptionnel alors qu’il devient banal. On est dans « 1984 », dans une société où l’on a oublié les raisons pour lesquelles un groupe hait un autre groupe et s’efforce de le détruire alors même que le ressentiment qui a donné lieu à la violence a disparu depuis longtemps et qu’il ne reste plus que la violence elle-même, absurde, folle, sauvage. Je me souviens tout à coup que je n’ai pas écrit une ligne sur la Syrie depuis plusieurs semaines. Au début de la guerre civile, j’ai mobilisé tous les mots du dictionnaire pour en décrire les horreurs. Il ne m’en reste plus un seul pour poursuivre ma dénonciation.

RICHARD LISCIA 

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