Cahuzac : la catastrophe

La « spirale du mensonge »
(Photo S. Toubon)

Les aveux tardifs de Jérôme Cahuzac ont résonné comme un énorme coup de tonnerre qui a secoué le pays dans ses fondations. En effet, l’ancien ministre, dont le cas personnel est assez grave pour qu’on laisse à la justice le soin de le régler, a commis une faute dont les retombées politiques sont consternantes. Le mensonge suicidaire qu’il a proféré devant le président de la République, devant le Premier ministre, devant la représentation nationale complique encore une tâche gouvernementale déjà très difficile.

PLACÉES DEVANT le fait accompli, après avoir entretenu une illusion créée de toutes pièces par le déni formel de M. Cahuzac, les plus hautes représentants de l’État ont eu, dès mardi soir, beaucoup de mal à reprendre les affaires en main. Il n’était plus question d’exprimer la moindre indulgence. François Hollande a jugé avec « sévérité » le comportement de M. Cahuzac, qu’il juge « impardonnable ». Jean-Marc Ayrault, venu à France 2 pour dégager le gouvernement de toute responsabilité, a signifié, un peu plus tôt, à son ancien ministre qu’il s’était rendu coupable de « trahison ». Dans l’après-midi, M. Cahuzac était allé chez le juge pour passer aux aveux : il a bel et bien détenu en Suisse un compte de 600 000 euros qui aurait été transféré à Singapour.

Le gouvernement interpellé.

Mardi soir, la retransmission télévisée des déclarations faites par M. Cahuzac depuis que le site Internet Mediapart a révélé l’existence du compte aura joué à cet égard un rôle dévastateur. On mesure aujourd’hui l’aplomb du menteur, son arrogance, une maîtrise de ses nerfs qui lui ont permis d’afficher son « innocence » sans ciller. On veut bien admettre que MM. Hollande et Ayrault s’en soient tenus à sa parole, car il est bien difficile d’imaginer qu’un homme puisse mentir, les yeux dans les yeux, à un président de la République, au chef du gouvernement et à tous les députés. Mais, bien sûr, les adversaires du gouvernement, de droite et de gauche, l’accusent maintenant de ne pas avoir conduit sa propre enquête ou tout au moins de ne pas s’être renseigné davantage avant de l’absoudre. Quand le parquet a décidé de lancer une investigation pour « blanchiment d’argent frauduleux », M. Cahuzac a démissionné, mais il était trop tard.

Les conséquences de cette affaire à tiroirs, au cours de laquelle l’opinion est passée successivement de l’incrédulité face aux révélations de Mediapart, à l’inquiétude puis à la consternation, sont profondes et innombrables. Elles augmentent le dégoût d’un public qui, malmené par la crise, ne croit plus à grand-chose. Elles renforcent l’extrême gauche et l’extrême droite, ce qui se retrouvera lors des prochaines échéances électorales. Elles affaiblissent un gouvernement qui prétend fonctionner sur le principe de la « République irréprochable » mais se retrouve dans la position des gouvernements précédents, accablés par les diatribes morales de ceux qui, alors dans l’opposition, sont maintenant au pouvoir. Et en est réduit à se dégager maladroitement du piège que son laxisme lui a tendu.

La spirale du mensonge.

L’affaire montre aussi que le mensonge politique est la seule défense de coupables bien réels. La liste des précédents est assez longue et fournie pour que l’opinion commence à penser que Nicolas Sarkozy, mis en examen dans l’affaire Bettencourt, n’a peut-être pas été traité par le juge Gentil avec la hargne que d’aucuns attribuaient au magistrat ; et que l’ancien président nous cache des choses. Personne n’y gagne, ni la gauche ni la droite. C’est le triomphe des extrêmes. Ils mettront à profit le lien apparent entre les « affaires » et les partis les plus puissants pour discréditer les remèdes rationnels que tout pouvoir démocratique souhaite apporter au déclin économique du pays. Il a manqué à M. Cahuzac cette projection de son cas personnel sur les affaires de l’État. Il lui a manqué le sens du sacrifice. Il lui a manqué la perception précoce de la « spirale du mensonge » (l’expression est inscrite en toutes lettres dans sa confession publique) dans laquelle il s’est engagé avec une folle imprudence. Pour se protéger,  il a fait beaucoup de mal à son pays. Et cette mauvaise action était d’autant plus inutile que, in fine, elle ne l’a pas protégé.

RICHARD LISCIA

 

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