Mauroy : mort d’un honnête homme

Un leader simple et rassurant
(Photo AFP)

Pierre Mauroy vient de mourir d’une maladie pulmonaire. L’ancien Premier ministre de François Mitterrand a toujours exercé ses fonctions, au Parti socialiste ou au gouvernement, avec désintéressement, honnêteté et simplicité. En tant que maire de Lille, il a apporté au Nord-Pas-de-Calais une dynamique économique et culturelle qui fait aujourd’hui la fierté de la région. Contraint par l’exercice du pouvoir à adapter ses idées aux circonstances, il a allié  souplesse d’esprit et pragmatisme.

PIERRE MAUROY n’a jamais été saisi par la superbe ou l’arrogance que ses hautes fonctions auraient pu lui inspirer. Il avait une très grande vertu, celle de garder ses convictions même quand il devait les aménager dans un souci d’efficacité. Socialiste dans l’âme (il était issu d’une famille ouvrière et croyait profondément à la nécessité de réduire les inégalités), il a su, avec Jacques Delors, prendre le virage de la rigueur en 1983. Je l’ai rencontré en septembre 1981, trois mois après qu’il fut nommé Premier ministre. Le chômage était son obsession. Il voyait surtout que l’insuffisance du nombre d’actifs compromettait la redistribution des ressources, chère aux socialistes et qui, dans une période de forte croissance, aurait pu trouver son apothéose.

Il fut très fidèle à François Mitterrand et, pourtant, les caractères des deux hommes étaient diamétralement opposés : le président très politicien, manoeuvrier, parfois machiavélique, le Premier ministre aux principes de marbre, sincère jusqu’à en être quelque peu naïf, à mille lieues des combines et des magouilles. On ne pouvait pas ne pas l’aimer car il n’y avait en lui aucune trace de cynisme ou de méchanceté. Certes, il était guidé par un idéal qui ne résistait pas toujours à une tenace adversité. Il tenait un discours néanmoins élaboré dans lequel il tentait, avec une certaine force de persuasion, d’allier son rêve personnel à son action politique. Il savait mesurer ses propres échecs. Roland Dumas raconte qu’après trois dévaluations du franc, il ne voulait pas être associé à une quatrième et qu’alors il s’en est allé.

Son décés a lieu à un moment de l’histoire où la France est, plus que divisée, fragmentée. Mais aujourd’hui, toute la classe politique a une épiphanie. La convergence des éloges de gauche et de droite, notamment ceux de François Fillon, n’est pas à proprement parler surprenante: ce que chacun sait du caractère et de la personnalité de Pierre Mauroy suffit à expliquer qu’il ne soit pas critiqué au moment où il disparaît. Mais qui ne se souvient du barrage d’artillerie qui a accueilli l’arrivée au pouvoir des socialistes et leurs mesures, nationalisations, semaine de 39 heures, retraite à 60 ans ? Ce qui protège Mauroy de ces souvenirs, c’est probablement qu’il était incapable de se montrer sectaire, qu’il a agi avec ferveur pour une société qu’il espérait plus juste et que, quand les réformes dispendieuses et (déjà !) à contre-courant de la mondialisation ont failli ruiner la France, il a été capable de s’adapter. Il a gouverné avec une rare abnégation, soucieux uniquement de l’intérêt général, pas du sien.

Et quand il est rentré à Lille, il en a fait une grande métropole. Il a eu l’intuition du tunnel sous la Manche, ouvrage d’art qui a immensément contribué au développement du Nord. Il n’est donc pas excessif de dire, comme Martine Aubry, qu’il était un « géant ». Mais aurait-il approuvé ce terme ? Tout Premier ministre pense qu’il peut devenir président. Lui n’a pas cherché à revenir sur la scène nationale. Son souci des autres a nui à son ambition personnelle, sa démission de Matignon n’a soulevé en lui aucune amertume. Un homme politique modeste, c’est tellement rare !

RICHARD LISCIA

PS- Je commenterai la mort de Clément Méric dans le Quotidien du médecin du lundi 10 juin.

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3 réponses à Mauroy : mort d’un honnête homme

  1. woznica dit :

    Monsieur Mauroy n’ est-il pas l’auteur de cette affirmation définitive : « La pacification n’est pas la guerre » ?

  2. Chambouleyron dit :

    L’homme Mauroy et son socialisme sont dignes de respect. Si j’ai bien compris le panégyrique, les deux premières années, il a fait de la distribution à tout va, ce qui a mis notre économie à mal et il a été obligé de prendre le tournant de la fermeté non choisie alors que la droite, elle, a choisi la rigueur d’emblée. La sémantique de gauche, c’est du contorsionnisme.

    • admin dit :

      Pas de panégyrique. Juste un hommage à un homme sincère qui a disparu et que la droite a encensé le jour de sa mort. Preuve qu’il y a des occasions de réfléchir à l’abri de l’esprit partisan.Par ailleurs, aucun gouvernement de droite ou de gauche n’a choisi la rigueur, sauf en 1983 avec Mauroy et en 2011 avec Fillon.

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