Hollande sur deux fronts

Convaincre Obama et Poutine
(Photo AFP)

Le soixante-dixième anniversaire du Débarquement offre plusieurs ouvertures diplomatiques, avec le président français, chef d’État du pays-hôte, au centre du jeu. D’une part, François Hollande tente de convaincre Vladimir Poutine, qu’il a bien fait d’inviter, de desserrer son étau sur l’Ukraine, d’autre part il s’efforce d’obtenir l’intervention de Barack Obama dans l’affaire très délicate où BNP-Paribas est censée payer une amende de dix milliards de dollars pour avoir effectué des transactions libellées en dollars avec des pays sous embargo américain.

M. OBAMA plaide la non-intervention du pouvoir politique dans l’exercice de la justice américaine. Mais l’affaire BNP a pris des proportions excessives. Quoi qu’ait fait la filiale américaine de la grande banque française (38,8 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 185 000 employés dans le monde), la sanction annoncée semble d’autant plus démesurée qu’elle menace la survie même de la banque. Il ne fait aucun doute que, si la justice américaine s’en prenait à une banque américaine de la même manière, le président des États-Unis volerait immédiatement à son secours. Le procureur chargé de l’affaire n’est autre que Cyrus Vance, celui-là même qui a fait passer un très mauvais moment à Dominique Strauss-Khan, dont l’échafaudage construit contre l’ex-directeur du FMI s’est effondré, et qui cherche peut-être, en l’occurrence, à redorer son blason. La position de la France est simple : la BNP ne saurait échapper à la justice, mais la sanction doit être proportionnée. Dans le cas d’une banque suisse, les Américains s’étaient contentés d’une amende de 2,6 milliards. Une autre porte de sortie consisterait à accepter le procès, proposition toujours très coûteuse pour les autorités américaines, ce qui peut conduire M. Vance à rechercher un compromis.

Ukraine : la détente ?

La question ukrainienne est encore plus compliquée. Il est logique que M. Poutine ait été invité aux cérémonies de l’anniversaire du Débarquement. Sans l’URSS, Hitler n’aurait pas été vaincu. Mais Poutine et Obama ont refusé de se rencontrer (ce qui contraint François Hollande à dîner deux fois ce soir). En revanche, le maître du Kremlin a consenti à voir le nouveau président ukrainien, Petro Porochenko. Bien que la Russie n’ait pas évacué toutes les troupes qu’elle avait massées à la frontière ukrainienne, elle a pratiquement accepté le verdict des urnes en Ukraine et il n’est pas impossible qu’elle passe un compromis avec M. Porochenko. C’est à quoi s’emploie François Hollande.

Le soixante-dixième anniversaire du Débarquement sera au moins aussi fastueux que le cinquantième. Je ne pense pas, pour ma part, que ce rituel historique soit dépourvu d’intérêt ou trop répétitif. J’observe que les jeunes générations ignorent souvent ce qui s’est passé pendant la Deuxième Guerre mondiale, qu’elles ne savent plus très bien à qui elles doivent la liberté absolue dont elles bénéficient aujourd’hui, pas plus qu’elles ne savent combien cette liberté est fragile. Des milliers d’hommes, pour la plupart des gosses, sont venus mourir sur les plages de Normandie pour arracher l’Europe au joug hitlérien, et je suis convaincu que je ne serais pas ici pour en parler s’ils avaient refusé de faire le sacrifice de leur vie.

1944 n’est pas loin.

On peut toujours dire que l’Amérique et la Grande-Bretagne avaient le dessein de dominer le monde de l’après-guerre et qu’elles attendaient de gros dividendes de leur effort de guerre. Les Anglais ont perdu leur empire et le statut de superpuissance des États-Unis est déjà contesté par la Chine. En attendant, nous sommes libres de pérorer, et de nous en prendre tous les jours au « monde anglo-saxon » qui semble inspirer à la France moins de sympathie que la Russie. Le droit inaliénable de critiquer nos meilleurs amis nous a été octroyé par ces Anglais, Américains, Canadiens et Français qui se sont exposés à la mitraille et aux canons nazis et qui, après nous avoir libérés, sont allés délivrer les Allemands eux-mêmes de l’hitlérisme. 1944, nous dira-t-on, c’est loin. Mais non, la guerre, la lutte pour la liberté n’ont jamais été aussi actuelles. Ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine, en Syrie, et dans tous les pays où les droits de l’homme et de la femme ne sont pas respectés, et Dieu sait qu’ils sont nombreux, ne peut être analysé qu’à l’aune de la liberté. J’entends des experts très respectés prendre la défense de Poutine, quand ce n’est pas de Bachar Al-Assad ou du pouvoir chinois. Ils s’appuient sur des arguments inspirés par la Realpolitik. J’ai envie de leur demander si, pour eux, le sacrifice des soldats tombés en Europe a été utile.

RICHARD LISCIA

 

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Une réponse à Hollande sur deux fronts

  1. Dr Jérôme Lefrançois dit :

    Encore une fois, bravo pour la pertinence de votre commentaire.
    Oui, le plus important est la paix et la liberté…Que les pourfendeurs de l’Europe y pensent, car la folie humaine qui peut ramener la guerre n’est jamais loin.
    L’Europe est très imparfaite, et pourtant elle nous maintient en paix et en liberté, et ça c’est le plus précieux.
    Attention, quand on les a perdues, il est trop tard!

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