Une presse déchirée

Victime d’un complot ?
(Photo S. Toubon)

Les rédactions de 14 médias dénoncent les méthodes de l’hebdomadaire « Valeurs actuelles ». Cette semaine, ce journal a publié la liste des rendez-vous de deux journalistes du « Monde », Gérard Davet et Fabrice Lhomme, qui enquêtent sans désemparer sur Nicolas Sarkozy depuis plusieurs années. L’idée de « Valeurs actuelles » consiste à démontrer que l’ancien président de la République fait l’objet d’un complot fomenté par la justice et par le quotidien de l’après-midi pour le disqualifier.

ON COMPREND fort bien la réaction de ces médias (« le Monde », « le Figaro » « le Parisien », « le Nouvel Observateur », « le Point », « les Échos », Radio-France, Mediapart, Rue 89, « l’Express », « Libération », Europe 1, RFI et TF1) qui insistent sur la protection des sources, sans laquelle tout travail d’investigation devient impossible. Souvent invités sur les plateaux de la télévision, Gérard Davet et Fabrice Lhomme ne cessent de répéter que les journalistes ne violent pas le secret de l’instruction, auquel ils ne sont pas astreints, ce en quoi ils ont tout à fait raison. Ce qui est sûr, c’est que dans son zèle à défendre M. Sarkozy, « Valeurs actuelles » n’a pas fait preuve de confraternité et a replacé la vie des médias dans le champ politique.

Un canal privilégié.

Les journalistes ne peuvent pas s’extraire de l’influence politique de leurs articles sous le prétexte qu’ils exercent un métier différent de celui des élus. Il est certain que les révélations multiples que MM. Davet et Lhomme ont faites sur les activités de Nicolas Sarkozy quand il était président et depuis qu’il ne l’est plus ont contribué à l’échec apparent de sa rentrée politique. Il est certain aussi que, si l’on admire l’importance et la multiplicité des informations qu’ils publient, et largement exploitées par « le Monde » qui en fait parfois sa manchette, on est surpris par leur régularité : elle semble indiquer qu’ils bénéficient d’un canal privilégié avec des magistrats. C’est à mettre à leur actif, et de ce point de vue, « Valeurs actuelles » a fait un travail misérable, en faveur du camp qu’il a choisi de défendre. Ce qui n’enlève rien, d’ailleurs, au comportement de la justice dans toutes les affaires où M. Sarkozy est impliqué. D’abord, l’usage qu’elle fait de la presse pose la question du secret de l’instruction que les juges, eux, ont le devoir de respecter, ce que d’aucuns ne font pas. Ensuite, certains scandales, annoncés de façon tonitruante et destinés à confondre M. Sarkozy, n’ont abouti à aucune mise en cause de celui-ci.

Certaines affaires existent.

On est donc en droit d’exprimer un certain scepticisme sur l’impartialité de la justice, sur ses méthodes médiatisées, sur ses intentions politiques. Les éventuelles turpitudes qu’elle pourchasse avec tant d’acharnement n’enlèvent rien à son devoir de réserve. Bien entendu, on ne peut accuser personne. Nous n’irons pas fouiller dans la liste des communications de nos confrères pour tenter de savoir qui les informe. Mais nous constatons que certaines séquences dans le suivi des affaires par « le Monde » étaient organisées, distillées jour après jour pour maintenir le suspense, et manifestement destinées à déstabiliser les personnes que la justice avait dans le collimateur.

À quoi il faut s’empresser d’ajouter que diverses affaires, comme celle de l’ancien ministre Claude Guéant ou de Bernard Tapie, semblent bien devoir aboutir à des procès, que c’est le mérite de la presse de faire toute la transparence sur ces affaires, qu’il n’y a pas de démocratie sans des médias libres et que ce n’est pas le travail des journaux de s’en prendre à d’autres journaux ou des journalistes à d’autres journalistes. « Valeurs actuelles » a choisi un champ de bataille d’autant plus détestable que la calomnie ou la médisance n’ôteront rien à la nature des faits si, en définitive, ils sont établis. Il est d’ailleurs bon que des rédactions travaillant pour des journaux engagés à droite aient pris leurs distances avec le précédent créé par « Valeurs actuelles ». On peut avoir des convictions bien ancrées mais on ne doit servir ces convictions que par la preuve ou la démonstration. La disqualification de l’adversaire politique ne doit pas passer par un déni de la vérité.

RICHARD LISCIA 

 


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