Un moment de ferveur

Près de quatre millions de manifestants
(Photo S. Toubon)

Ce dimanche 11 janvier aura été un jour magique, où les Français, enfin réconciliés, même si ce n’était pas durable, ont défendu ce qu’ils sont et qui est bien supérieur à ce qu’on voudrait qu’ils deviennent. C’était la grâce retrouvée dans la célébration de notre bien commun, liberté, tolérance, dignité, culture. On ne saurait exiger plus d’un peuple sonné par le malheur. On ne doit pas non plus ouvrir la vanne du cynisme, de la froide analyse, de la peur de recommencer à nous quereller.

LA FRANCE DRESSÉE contre le terrorisme, cela ne signifie pas que nous allons oublier les problèmes économiques et sociaux qui nous divisent. Cela veut dire que nous avons renforcé le socle d’idées sur lequel notre société est construite et que ce que nous ferons aussitôt après ce fantastique sursaut de résistance à l’ignominie se fera, bien entendu, sur cette base. C’est une victoire contre la violence. C’est le triomphe d’une civilisation. C’est le corps multiple des survivants qui prend le relais de ceux que l’on a assassinés parce qu’ils étaient libres.

Un sans-faute.

Depuis mercredi dernier, le gouvernement a accompli un sans-faute. D’abord, il n’a oublié aucune des victimes. L’immense chagrin provoqué par la mort des dessinateurs de « Charlie Hebdo » ne devait pas occulter la perte de trois policiers et de quatre hommes de confession juive abattus dans l’hypermarché cacher, victimes, une fois de plus, d’un racisme meurtrier. Ensuite, il a réussi ce tour de force de réunir une cinquantaine de chefs d’État ou de gouvernement, de les faire défiler, de protéger quelque quatre millions de personnes qui manifestaient dans tout le pays, sans le moindre incident de sécurité. Enfin, il a fait l’effort de modestie nécessaire pour se mêler à la foule, pour s’effacer devant elle, pour ignorer les hiérarchies. Tout le monde craignait que nos dirigeants ne récupèrent le choc infligé au pays. François Hollande et ses ministres se sont conduits de manière exemplaire, pourquoi ne pas le dire ?

On a reproché à Patrick Pelloux, l’urgentiste associé à « Charlie Hebdo », où il publie une chronique, de s’être jeté dans les bras du président de la République. Je ne vois pas comment le chef de l’État pouvait ne pas les ouvrir pour accueillir l’émotion intense d’un proche des victimes, ni pourquoi le Dr Pelloux, accablé par cette perte indescriptible, aurait dû nourrir une froide réflexion qui l’eût gardé de pactiser avec le pouvoir, ni pourquoi on ne peut pas voir, chez l’homme d’État et chez le médecin, des hommes capables, comme tous les autres, de souffrir et de se consoler réciproquement. Les Français n’ont pas obéi à un mot d’ordre du pouvoir. Dès samedi, ils manifestaient dans toute la France. Les forces de l’ordre étaient là pour les protéger. Le gouvernement a su se fondre dans la foule et partager sa douleur.

C’est justement la démocratie que l’on a célébrée.

Je n’ai aucun doute sur la suite des événements. Des élections départementales ont lieu bientôt et elles seront l’occasion pour les partis de dire du mal les uns des autres. Mais c’est la règle en démocratie et c’est justement la démocratie que nous avons tous célébrée dimanche. Je veux bien qu’on puisse reprocher au gouvernement de n’avoir pas vu venir le coup alors que des indices sérieux auraient dû éveiller l’attention de nos services de sécurité. Je veux bien qu’il faille trouver, dans les mois qui viennent, un compromis entre le respect de nos libertés et l’accentuation de la répression, avec peut-être une loi anti-terroriste. Je veux bien que, sur la manière de combattre le fléau, les avis soient très différents, ce qui donnera lieu à de nouvelles échauffourées entre les uns et les autres. L’opposition, notamment, va se demander si François Hollande ne va pas obtenir un regain de popularité à la faveur de l’événement (oui, il l’obtiendra). Mais, d’une part, nous pouvons trouver dans le 11 janvier une source abondante d’intelligence collective. Et, d’autre part, il est logique que nous fassions les choses comme nous avons l’habitude de les faire, c’est-à-dire en nous disputant, puisque c’est bien notre culture que le fanatisme veut abattre.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à Un moment de ferveur

  1. Oj dit :

    On ne peut qu’être en phase sur le fond avec ce qui est écrit. Cela étant, je ne suis pas d’accord sur votre tolérance vis à vis des chamailleries des partis d’opposition à l’encontre des partis majoritaires qui serait inhérente ou intrinsèque à l’action politique en France. Je la considère comme totalement stérile puisqu’elle aboutit le plus souvent soit à l’absence de décision soit à des décisions contradictoires. La seule loi consensuelle des dernières années est celle de Jean Leonetti (j’excepte là évidemment les extrémistes de tout poil). La politique menée actuellement par la gauche au pouvoir est celle qui était préconisée par la droite et la droite, lorsqu’elle est au pouvoir, mène classiquement une politique de gauche. C’est la preuve que les partis qui nous gouvernent depuis 30 ans ne sont pas si éloignés sur le plan idéologique. Plutôt que de penser que pour obtenir notre suffrage il faut s’opposer comme des adolescents attardés (il suffit de suivre les débats à l’assemblée nationale pour s’en rendre compte), la classe politique devrait comprendre que l’électeur, qui n’est autre que le citoyen, est confronté à des réalités qui imposent le consensus droite-gauche sur certains sujets majeurs (cf propos de M. Védrine). La tradition est une chose, mais le réalisme permet de faire évoluer nos institutions et leur fonctionnement pour suivre l’évolution de la société, ce qui est indispensable, particulièrement dans un pays qui porte en sautoir les mots Liberté, Égalité et Fraternité.

  2. Candide dit :

    D’accord pour être constructif dans un élan de solidarité républicaine.
    Le « sans faute » depuis 5 jours dans l’organisation d’une marche, attribué très généreusement au pouvoir, doit être tempéré par l’existence de manœuvres politiciennes non dissimulées ; par la présence parmi les enthousiastes de la liberté d’expression (dont un certain nombre très discrètement, voire inversement, avant ce crime épouvantable), de chefs d’Etat qui la piétinent en permanence par principe et en pratique, quand ils ne soutiennent pas les terroristes ; par 40 ans de désorganisation de la République et de destruction de l’enseignement ; et très précisément, de façon atrocement évidente et incroyable, sauf erreur, parce que un des assassins aurait dû être en prison et que les deux autres, interdits aux USA, pouvaient circuler librement sur notre terre « d’accueil et de vivrensemble ».
    Ceci dit non pour casser l’enthousiasme généralisé (et mis en scène par les médias) pour une grande part authentique et je m’en réjouis, mais avec l’espoir de ne pas retomber dans les chausse-trappes du déni, de l’angélisme, des illusions rassurantes et de l’inaction (etc.).

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