La folie du co-pilote

Lubitz, devant le Golden Gate, à San Francisco (Photo AFP)

Lubitz, devant le Golden Gate, à San Francisco
(Photo AFP)

Les révélations sur l’état de santé mentale du co-pilote de l’Airbus de Germanwings, Andreas Lubitz, ont accru la douleur des familles des victimes. Ces informations exonèrent l’avion lui-même et la société qui le construit. Elles indiquent néanmoins que le crash était évitable, si un suivi psychologique et, en l’occurrence psychiatrique, avait été mené. Andreas Lubitz, en effet, a souffert de dépression et de crises au cours de sa formation qu’il a d’ailleurs dû interrompre. Ce qui ne l’a pas empêché, ultérieurement, de se qualifier comme pilote. N’aurait-on pas dû, au contraire, l’évincer de la profession?

L’ENQUÊTE EST encore en cours, elle durera longtemps et ses conséquences judiciaires s’étaleront sans doute sur plusieurs années. Mais, clairement, une faute a été commise par la compagnie qui a embauché Lubitz. Tous les pilotes et spécialistes interrogés par la presse ont admis que le suivi psychologique n’était pas, ou à peine abordé, lors de leurs consultations médicales, conduites par des soignants non spécialisés en psychiatrie. Mais on sait par ailleurs qu’il est difficile de déceler une maladie mentale grave, surtout si elle se manifeste de manière intermittente et n’apparaît pas lors de l’entretien avec le médecin.

Théoriquement sûr.

Les compagnies aériennes sont maintenant contraintes de prendre de nouvelles dispositions de sécurité, à commencer par la règle qui impose la présence dans le cockpit d’au moins deux personnes, même quand le pilote ou le co-pilote doivent s’absenter. On a beaucoup commenté, et de façon négative, les mesures qui ont fait du cockpit une forteresse imprenable grâce à sa porte blindée, mais elles ont été inspirées, après le 11 septembre 2001, par la crainte d’une attaque terroriste. Il y a pourtant des précédents à l’acte incroyable de Lubitz. On se souvient du pilote égyptien qui a plongé son appareil dans l’océan en 1999 et il existe, au total, une dizaine d’actes du même genre qui ont été répertoriés au cours des 40 dernières années. Les experts montrent, chiffres à l’appui, que le transport aérien, reste le plus sûr par rapport au train, au bateau et surtout à la voiture. La souffrance des familles vient justement de l’idée qu’un voyage aérien entre Barcelone et Dusseldorf n’est pas plus dangereux, théoriquement, qu’une promenade à pied dans un parc.

Une détermination maladive.

L’ampleur de la tragédie résulte de la très bonne perception sécuritaire que le public a des avions de ligne. On les sait surveillés comme des mécaniques de haute précision que rien ne peut endommager, qui sont révisées avec une minutie à la fois immense et coûteuse, qui disposent de plusieurs moyens d’échapper à un imprévisible incident. Le fait que l’Airbus A-320 fonctionnait parfaitement, qu’il ne devait en aucun cas dévier de sa route, qu’il devait avec certitude se poser à Dusseldorf augmente un peu plus la douleur des proches des malheureux passagers. Le co-pilote s’est suicidé mais il a cru bon d’emmener avec lui dans la mort 140 êtres humains, dont des enfants, qui n’avaient pas la moindre envie de l’accompagner. Fallait-il qu’il fût gravement atteint pour concevoir un projet aussi cruel et que sa détermination maladive fût dictée par une pulsion particulièrement funeste pour qu’aucune once de morale ou de pitié pour les passagers ne l’ait dissuadé d’en finir avec sa vie et celle des autres!

Non seulement il a commis un crime d’une gravité inouïe, mais il a introduit chez le public habitué des voyages aériens un soupçon qu’il n’avait pas sur l’équilibre mental des pilotes, sur les mesures anti-terroristes qui existent, sur des compagnies tellement obnubilées par la sécurité qu’elles en ont oublié le rôle néfaste que peut jouer un pilote très malade.

RICHARD LISCIA

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

4 réponses à La folie du co-pilote

  1. MELEKIAN dit :

    Dans le cas présent, il est difficile d’envisager d’autre hypothèse que la psychose maniaco-dépressive. Cela oblige à revoir les règles de surveillance médico- psychologique du personnel navigant dès l’examen d’embauche. C’est en pratique impossible ultérieurement en cours de travail.

  2. Dr Jérôme Lefrançois dit :

    Merci pour votre article.

    Il me semble que les pilotes (métier particulièrement noble et digne de considération, et aussi de responsabilités très élevées…) devraient ravaler leur fierté (ceci ne concerne que ceux qui sont hostiles à un contrôle psychologique) et accepter, voire demander, par l’intermédiaire de leurs syndicats si puissants, la mise en place de « normes » psychologiques de suivi, en parallèle aux consultations médicales régulières de suivi.
    Aucun être humain n’est surhumain, et tout le monde, y compris un pilote de ligne (au fait, pourquoi n’y a-t-il pas de femmes, ce serait sûrement intéressant qu’il y ait aussi des femmes pilotes de ligne), peut « flancher » sur le plan psychologique.
    Nous, les médecins, le savons bien, qui sommes si concernés par le burn-out, et par le suicide .

    Dr Jérôme Lefrançois

    • Dr BOUVIER dit :

      L’idée de mettre des femmes en pilote de ligne est excellente.
      Cela évitera ce besoin pour un commandant de bord d’aller faire pipi au bout de 40 minutes de vol et s’il est vraiment impossible de mettre des femmes, ce que je regretterais beaucoup, au moins obligeons les commandants de bord à un toucher rectal.
      J’ai l’air de faire de l’humour noir très irrespirable dans ce contexte mais c’est parce que je suis énervé de ce que personne ne répond à ma question : pour quelle raison quitter son poste après 40 minutes (ce que ne ferait pas un chirurgien pendant une intervention) ? Les bandes son signalent-elles que le commandant s’excuse de quitter son poste pour un « besoin pressant », ce qui serait la moindre des politesses ? Silence complet sur cette sortie dont on nous dit seulement qu’on a entendu le bruit du siège!
      Evidemment le copilote présente toutes les pathologies possibles mais il n’empêche que sans cette sortie, couverte par un profond silence, tout cela ne serait arrivé… En tout cas ce jour-là…

  3. A3ro dit :

    Tout ceci est bien compliqué. Evidemment, la réaction de tout le monde est « plus jamais ça ». Mais c’est loin d’être évident.

    Changer les règles d’accès au cockpit sont compliquées. Il faut concilier mesures anti-terroristes avec meures « anti-suicide », c’est quasi impossible. Mettre deux personnes dans le cockpit à tout instant : pourquoi pas ? Ceci dit, on peut comprendre que ça induit de la défiance entre les membres d’équipage, pas idéal non plus, mais un pilote intelligent comprendra. Et un type décidé peut de toute façon assommer son collègue…

    Un suivi psychologique ? Pourquoi pas, en effet. Cela prendra un peu de temps et d’argent à mettre en place, mais c’est faisable. Mais il faut être sûr que tous les gens potentiellement dépressifs ou suicidaires seront détectés…. ce d’autant que, si le risque est de ne plus voler, les pilotes dépressifs cacheront d’autant mieux leur condition. Donc la encore, pas sur que ça marche.

    Le facteur humain rend tout ça très compliqué, et pour être honnête, je pense qu’il faut accepter de faire confiance aux pilotes, avec les risques (très faibles) que ça implique. L’option de faire des avions sans pilotes est irréaliste à l’heure actuelle, et sans doute pour longtemps.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.