Un jugement monstrueux

Le roi Salman d'Arabie (Photo AFP)

Le roi Salman d’Arabie
(Photo AFP)

Je n’ignore rien des règles qui régissent la profession de journaliste, notamment celle qui exige que ce qui se produit loin du lecteur a moins d’importance que ce qui se passe près de lui. Nous avons donc tous consacré beaucoup de réflexion au voyage de Manuel Valls à Berlin, qui se solde par un remboursement à l’État des billets que ses deux enfants auraient dû payer. Les problèmes d’éthique ne sont pas négligeables et le sujet méritait le débat auquel il a donné lieu. Mais ce genre d’affaire nous met un bandeau sur les yeux. Il y a des événements infiniment plus révoltants.

EN EFFET, nous ne pouvons pas ignorer le sort réservé par la « justice » saoudienne à un blogueur nommé Raef Badaoui dont le crime est d’avoir mis en doute les vertus démocratiques de son pays : il recevra, entre autres peines, 1 000 coups de fouet qui lui seront administrés en 20 semaines, pour qu’il souffre le plus longtemps possible avant de mourir sous les coups. Vous et moi pourrions souscrire à chaque mot qu’il dit, mais vous et moi savons non seulement que la liberté d’expression n’existe pas en Arabie saoudite, mais que la France elle-même, toujours en affaires avec le gouvernement de Ryad, se garde bien de jeter l’anathème sur ce précieux allié. Nous savons en outre que nos criailleries sont étouffées par les dunes d’Arabie et que, s’il fallait tenir tête à tous les régimes qui bafouent chaque jour les droits de l’homme, nous perdrions beaucoup de nos relations sans pour autant influencer leur conduite. Au devoir d’ingérence inventé par Bernard Kouchner, l’ancien ministre Hubert Védrine oppose le rejet du « droit de l’hommisme » au nom d’une diplomatie plus feutrée mais peut-être plus efficace.

Une échelle de la cruauté.

Depuis trois ou quatre ans, et à la faveur d’un « printemps arabe » qui a fait couler plus de sang que les dictatures qu’il était censé abattre, notre indignation ou notre colère sont devenues dérisoires, tant nous sommes impuissants face à la barbarie. Nous avons vainement essayé d’établir une échelle de la cruauté dont régimes arbitraires et mouvements terroristes se disputent la marche la plus haute avec un cynisme, un mépris des gens, une haine pour le droit, une violence bestiale qui laissent sans voix. S’il vous semble qu’il y a plus d’humanité en Arabie qu’en Iran ou que Bachar Al Assad est pire que Daech, il ne s’agit que d’une illusion. Ce qui est à l’oeuvre au Proche-Orient, c’est tout simplement un concours de bourreaux hallucinés.

Le droit de dire.

Je veux bien que la France protège ses emplois en vendant des armes à l’Arabie saoudite, car il est facile d’écrire des pamphlets pendant que quelque millions de nos concitoyens cherchent un job. Mais elle ne renoncera pas à ses propres libertés pour améliorer son commerce extérieur. Et je ne vois pas pourquoi, dès lors que nous sommes libres de nous exprimer ici, nous nous priverions du droit de dire que ce régime saoudite est insensé, que ces gens-là devraient avoir honte de ce qu’ils sont et de ce qu’ils trament et que si notre gouvernement doit rester muet, il n’a posé aucun bâillon sur notre bouche. Il préfèrerait peut-être que nous parlions d’autre chose, mais nous avons le privilège de ne pas vivre en Arabie, ni en Syrie, ni en Iran. Donc, nous continuerons à hurler dans l’oreille de ces gens-là ce qu’ils ne veulent pas entendre.
Il faut sauver Raef Badaoui d’un supplice dont les modalités ne peuvent germer que dans des cerveaux malades. Il faut se battre contre les analyses savantes selon lesquelles nous devrions donner du temps à des changements qui ne se sont produits chez nous qu’au bout de quelques siècles. Il faut répéter sans cesse que ces pratiques conçues par des esprits dérangés au nom de ce qu’ils considèrent comme leur religion, sont insupportables, infernales, hors du monde. Il ne faut pas céder.

RICHARD LISCIA

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4 réponses à Un jugement monstrueux

  1. Costamagna dit :

    Merci de dire tout haut ce que chacun ou presque d entre nous sait et pense . Le jeu de la France devient si obscur à serrer ces mains qui défendent leur seuls intérêts et ne peuvent pas être comme nous avec leur mode de vie barbare et obscurantiste. Merci.

  2. Dr Jean Wolga dit :

    Bravo ! Vous avez mille fois raison, Hollande comme Obama se prosternent devant ces rois féodaux du pétrole qui prônent l’obcurantisme religieux au nom duquel on condamne un simple blogueur défenseur de la liberté d’expression à un châtiment horrible. Ils avalent une couleuvre grosse comme un boa alors qu’ils sont prêts à faire rendre gorge au petit état d’Israël, modèle de démocratie, qui a le seul tort de vouloir se défendre et protéger ses frontières héritées de la guerre des 6 jours où il était condamné à vaincre ou à disparaitre. Où sont tous ces bras brandissant des crayons le 11 janvier ? Où sont-ils pour défendre ce malheureux Raef Badaoui ? Vous êtes l’un des rares à en parler ? Merci beaucoup.

  3. Etienne ROBIN, néphrologue dit :

    Entièrement d’accord avec Richard Liscia : torturer un jeune homme relève d’un esprit malade.
    C’est toutefois difficile de dire aux Saoudiens que leur cruauté est une ignominie, car notre cruauté à nous n’est pas si différente : ce que nous faisons subir à des milliers de prévenus dans les prisons françaises est une barbarie innommable, maintes fois illustrée, démontrée et dénoncée par des enquêteurs au dessus de tout soupçon, ou par des témoins indignés comme les médecins des prisons.
    Hélas pour notre image, les coups de fouet que le pouvoir saoudien inflige à Raef Badaoui ressemblent aux sévices (parfois mortels) que subissent les prisonniers chez nous, à ceci près que chez nous, ce n’est pas intentionnel. C’est seulement du laissez-faire.

  4. HADJADJ dit :

    Du courage vous en avez, de l humanité aussi, et chacun de vos articles depuis vos débuts au « Quotidien » ont toujours été frappés de bon sens et souvent de l’humour qui désertent ce monde et qui vont faire de notre civilisation un désert régi par l’obscurantisme où règnent violence dégénérée et humiliations. Merci.

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