La responsabilité de l’électeur

Le Pen, Bertrand : débat acide (Photo AFP)

Le Pen, Bertrand : débat acide
(Photo AFP)

La forte présence du FN dans la campagne des élections régionales et la tension qui précède logiquement le second tour donnent lieu à des batailles verbales plutôt intenses. Les sondages prédisent un fort recul du Front au second tour.

C’EST le scrutin des paradoxes. La gauche se retire de deux régions, va même jusqu’à appeler ses électeurs à voter pour les candidats LR (Martine Aubry, par exemple, veut que les suffrages du PS aillent à Xavier Bertrand) mais, malgré le front républicain unilatéral de la gauche, le ton de la campagne s’est durci, notamment entre Claude Bartolone et Valérie Pécresse. Le président de l’Assemblée nationale a comparé la tête de liste LR en Île-de-France à Nadine Morano, naguère apôtre de la « France blanche et chrétienne », ce qui a meurtri Mme Pécresse : elle se voit plutôt en « gaulliste sociale ». De la part de M. Bartolone, le propos n’était ni élégant ni galant : son adversaire n’est pas responsable de ce que dit Mme Morano. Mais, bien sûr, tous les coups sont permis, de sorte que mensonges et approximations pullulent dans les discours des combattants. Il ne faut pas s’en faire: la vulgarité, hélas, est la loi du genre.

Une stratégie efficace.

En revanche, les sondages qui prédisent la victoire de Xavier Bertrand dans le Nord et celle de Christian Estrosi en Paca semblent montrer que la stratégie du désistement des listes de gauche dans les deux régions a été efficace pour faire barrage au FN. Marine Le Pen et sa nièce affirment que les enquêtes d’opinion ne veulent rien dire, ce qui est souvent vrai. Il n’empêche : une défaite du Front dans les deux régions où il fait la course en tête serait interprétée comme un coup d’arrêt à son ascension, d’autant qu’elle atteindrait de plein fouet les deux stars féminines du parti et pourraient affaiblir la position de Marine Le Pen en 2017. Bien entendu, il vaut mieux attendre le résultat du scrutin avant de le commenter.
En Midi-Languedoc, Dominique Reynié, tête de liste LR arrivé en troisième position, a donc obéi à la consigne de Nicolas Sarkozy, ce qui ne veut pas dire nécessairement qu’il va faire élire la liste du FN, nous disent certains experts, car son désistement aurait encouragé une partie de son électorat à voter pour le Front au second tour. C’est une manière de prétendre que tout va pour le mieux : la gauche devait se sacrifier, la droite, non. Les électeurs ne sont pas de cet avis qui ne cachent pas leur mécontentement, notamment à gauche où Manuel Valls, maître d’oeuvre de la stratégie électorale de la majorité, est souvent vilipendé. Cette année, bien plus qu’auparavant, il est particulièrement difficile, pour les candidats, de cerner l’électorat, nerveux plus que jamais, obéissant à des logiques parfois absurdes, remonté, changeant et capricieux.

Une opinion injuste.

Cela explique que les candidats s’efforcent de « dépolitiser » les débats, si c’est possible, et refusent que les ténors de leur parti participent aux meetings. Cela explique que les électeurs du FN soient traités avec des gants blancs par les autres formations, qui ne désespèrent pas de les débaucher pour le second tour. Pourtant, du point de vue éthique et philosophique, il ne devrait pas être interdit de juger les électeurs comme on juge les élus. Au fond, de quoi les Français se plaignent-ils ? Quelle souffrance insupportable les conduit à leur choix ? Qu’est-ce que la classe politique a fait de si grave qu’elle doive être détruite par leurs votes ? Prenons un exemple, la crise économique et sociale. Elle exige des réformes profondes qui n’ont été qu’amorcées. Mais quand avez-vous vu le peuple unanime se dresser comme un seul homme pour réclamer les changements qui auraient une bonne chance de réduire le chômage ? Les Français se répartissent entre un camp qui veut pour réformes celles qui augmentent les avantages acquis et un autre camp, incessamment combattu par l’autre, qui croit que des changements structurels sont nécessaires. Les Français dénoncent les partis, la politique, l’inefficacité des programmes, le chômage, et tant de choses encore, mais il n’y a aucun consensus, aucune majorité en tout cas, sur ce qu’il faut faire. Pourquoi tenir rigueur aux hommes et femmes politiques de la confusion qui règne dans l’opinion ?

RICHARD LISCIA

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4 réponses à La responsabilité de l’électeur

  1. Num dit :

    Questions intéressantes. Quelques réflexions :
    1.Quand Bartolone traite Pecresse de candidate de la race blanche, qui fait le lit du communautarisme ? Inélégant, dites vous ? Qu’aurait-ont dit si elle avait dit qu’il est le candidat de la race noire ?
    2. Les sondages prédisent un fort recul du FN ? Une défaite, vous voulez dire. Parce que les deux Le Pen vont faire 46 ou 47 % (vs 40 % au 1er tour) dans des régions de 6 et 3 millions d’habitants. Pas sûr non plus que ce soit un coup d’arrêt, on avait dit cela également après les deux défaites de Marine à Hénin-beaumont, cela ne l’a pas empêchée de gagner la troisième fois.
    3. La gauche qui se sacrifie et la droite non ? C’est le choix et le problème de la gauche. Qu’ils l’assument. A ce rythme-là, ils vont juste disparaître ou presque de l’assemblée en 2017. D’ailleurs un sondage d’hier disait que les électeurs de gauche sont contre ce retrait et Masseret ne devrait pas voir son score baisser (sondage d’aujourd’hui).
    4. Pourquoi les électeurs rejettent-ils les hommes politiques ? Juste parce que depuis 20-30 ans, ils sont incapables de réduire le chômage, les déficits et la dette, contrairement à tous nos voisins (à quand une Merkel ou un Renzi en France ?). Juste parce qu’ils n’ont pas su prévenir puis combattre la montée de l’islamisme et les attentats des 7 janvier et 13 novembre (130 victime innocentes). Juste parce qu’ils sont totalement déconnectés du monde réel (à part quelques-uns), inefficaces, non courageux, sans vision. On pourrait continuer. Voilà ce qu’il y a de grave. Voilà ce qu’est la souffrance insupportable.

    Réponse
    J’ai dit que les sondages n’apportent aucune certitude. Inutile de faire des pronostics à quelques heures du scrutin. On verra bien. Une Merkel et un Renzi apparaîtront en France quand l’électorat acceptera des réformes indispensables. C’était le sens de mon propos. La paralysie du pays n’est rien d’autre que l’absence de consensus démocratique. Pour appliquer un programme, il faut un vote consensuel. Cela n’a jamais été le cas en France.

    • e.libre dit :

      Vous écoutez trop Jacques Brel :  » Pourvu que nous vienne un homme, un homme dans la cité….. » Très beau, mais malheusement un peu utopiste.

      Réponse
      Je ne crois pas et n’ai jamais cru aux hommes providentiels.

  2. e.libre dit :

    Les Français ont peut-être du mal à discerner la logique qui conduit le capitaine et l’équipage actuel à naviguer à vue, n’ayant d’autre projet en réalité que celui de garder leur place. La confusion n’est pas celle de l’opinion, c’est celle qui est distillée par les médias, véritable entrechambre du pouvoir.
    Les électeurs sont déboussolés, et vraiment je ne vois pas en quoi ils seraient responsable de l’incohérence du discours politique: c’est trop facile d’inverser les responsabilités.
    Gouverner c’est prévoir, or il n’y a actuellement aucune lisibilité concernant l’avenir qui nous est proposé. Il nous faut donc choisir sans connaître: ayez confiance disait Kaa, regardez-moi dans les yeux…..
    La toute récente loi santé nous a montré jusqu’à quel point peut aller l’incompétence d’une ministre de la République. Elle a certainement refusé d’entendre les médecins, pour ne pas gêner sa partalité. Or ce n’est qu’avec les médecins que les réformes seront possibles, mais voilà elle a préféré jeter le bébé avec l’eau du bain. Incohérence et courte vue qu’on retrouve malheureusement dans de nombreux autres domaines, et qui finissent, effectivement, par lasser.

    Réponse
    Ce n’était pas mon propos. Evidemment, je désapprouve la loi santé.Je n’ai jamais été un thuriféraire du pouvoir. Je dis seulement que les Français se plaignent alors qu’ils n’ont jamais formé une majorité faveur de réformes structurelles.

  3. Oj dit :

    Vous avez certainement raison sur l’absence de consensus, mais n’est-ce pas le rôle des politiques de tous bords de se concerter dans les instances parlementaires pour proposer et porter les réformes qu’il convient de mener dans le consensus. Ils ont été élus, me semble-t-il pour accomplir cette mission. Au lieu de cela ils font passer des textes en pleine nuit en catimini, s’arqueboutent sur des dogmes dépassés, s’invectivent comme des adolescents, s’ingénient à se positionner en contrepoint de l’autre au risque de perdre toute crédibilité ou de n’en acquérir aucune. C’est affligeant.
    Si la responsabilité incombait au seul citoyen, il suffirait de voter pour un Président de la république et son projet. On supprimerait alors l’assemblée nationale et le sénat qui ne serviraient à rien. Ils seraient remplacés par une administration à la botte du president. Serait-ce mieux ?

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