Une réforme très fragile

Henri Guaino est en colère (Photo AFP)

Henri Guaino est en colère
(Photo AFP)

La loi El Khomri sur la réforme du code du travail n’a aucun succès. Les syndicats s’organisent pour la torpiller. À droite, Henri Guaino la dénonce en des termes enflammés. Le gouvernement devra lâcher du lest s’il veut que la loi passe sans provoquer grèves et manifestations.

SUR BFMTV, Henri Guaino ne cachait pas hier sa colère. Il s’emportait contre le projet de réforme du travail avec de sincères accents, invoquant de Gaulle, s’apitoyant sur le sort des chômeurs, apportant à la majorité une opposition nouvelle, celle de la droite anti-réformiste. Pendant ce temps, les syndicats réunis en conclave choisissaient une méthode plus subtile que la grève. Ils demandaient, à l’unanimité sauf Force ouvrière, le retrait immédiat du projet de plafonnement des indemnités versées aux chômeurs et prévoyaient une nouvelle réunion de l’intersyndicale pour le 3 mars. Façon de dire que, si le gouvernement ne leur accordait pas ce premier gage, ils déclencheraient manifestations et grèves.

Une tâche impossible.

Les syndicats se plaignent, notamment, de ne pas avoir été consultés au sujet du projet de loi El Khomri. Le Premier ministre, Manuel Valls, a affirmé qu’il irait « jusqu’au bout », ce qui, dans sa bouche, indique qu’il passera en force. Il existe sûrement des façons plus subtiles de faire adopter une réforme. Mais, à observer le rapport de forces entre un gouvernement qui a enfin pris la mesure de la crise économique et sociale où le pays est enfoncé et une gauche divisée, on comprend que réformer devient chaque jour une tâche de moins en moins réalisable. Les groupes les plus en désaccord avec le pouvoir réaffirment leurs convictions comme si l’emploi allait si bien en France qu’il n’était pas indispensable de chercher des moyens de créer de nouvelles voies de sortie du chômage.
Comment la gauche de la gauche et tous ceux qui la rejoignent peuvent-ils se satisfaire du statu quo, qui signifie que nous avons 10 % de chômeurs et que ce taux continue d’augmenter ? Comment ne pas voir ce qui crève les yeux, à savoir que les rapports sociaux ont créé dans ce pays deux classes, ceux qui ont un emploi et le gardent quoi qu’il arrive et ceux qui n’en ont pas et n’en trouveront pas ? Comment les syndicats si prompts à s’indigner, à dénoncer le rôle du patronat, à voir en lui l’ennemi historique, héréditaire, définitif alors que, sans les entreprises, il n’y a pas d’emploi, croient-ils que cet océan d’injustice où pataugent six millions de citoyens qui sont au chômage ou travaillent à temps partiel, doit rester une norme française indélébile ? Quant à M. Guaino, nostalgique éternel, comment croit-il que le général de Gaulle réagirait à l’état du pays aujourd’hui ? Pense-t-il vraiment que l’homme qui a nourri l’espoir de 40 millions de Français assommés par la défaite leur proposerait aujourd’hui de ne rien faire pour lutter contre le chômage ?

Les deux France.

Il existe une France des privilèges et elle ne se limite pas aux riches et aux puissants. C’est celle du CDI (contrat à durée indéterminée), des avantages acquis, de la protection contre la maladie et des cotisations retraite. Et puis il y a une autre France, celle qui laisse certains jeunes choisir le djihad ou frapper vainement à la porte de l’emploi jusqu’à ce qu’ils sombrent dans la délinquance, celle des « seniors » que l’on décrit comme tels parce qu’on veut se débarrasser d’eux, celle des quinquagénaires que l’on met en pré-retraite pour qu’ils n’essaient même pas de travailler. Moi, si j’étais syndicaliste, c’est pour ces damnés de la pénurie, ces sacrifiés de l’industrie, ces victimes d’un système absurde, inopérant, cruel que je militerais, pas pour conserver les choses en l’état et aggraver les inégalités jusqu’à ce que la cocotte explose. Moi, si j’étais Henri Guaino, qui fut naguère aux affaires et a encore son mandat de député, je dénoncerais ces générations successives d’incompétents qui n’ont rien vu venir, qui n’ont pas compris que la mondialisation nous offrait une occasion historique de nous moderniser, qui ont jugé que, tant que les chômeurs étaient indemnisés, le chômage n’était ni hideux ni monstrueux. Hello, camarades syndiqués, frondeurs, gauche de la gauche, dissidents de tout poil, vous qui ne savez que haïr Manuel Valls, réveillez-vous ! Hello, Martine Aubry et Daniel Cohn-Bendit, qui dénoncez dans « le Monde » d’aujourd’hui « l’affaiblissement durable de la France », vous ne croyez pas qu’elle s’affaiblit encore plus de ne rien faire pour réduire le nombre de chômeurs ? Le chômage nous a coûté 30 milliards, nous en coûte encore cinq chaque année et il faudrait s’en tenir à cette situation paradisiaque ?

RICHARD LISCIA

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Une réponse à Une réforme très fragile

  1. Etienne ROBIN, néphrologue dit :

    Ah, comment faire pour que les syndicats remplacent leur corporatisme égoïste par votre vibrante empathie à l’égard des exclus véritables ?
    Comment faire pour que notre gouvernement troque son projet prioritaire (gagner les prochaines élections) contre les réformes dont vous soulignez l’absolue nécessité ?
    Comment faire pour que la gauche de la gauche sorte de son déni de réalité pour voir la société avec votre regard de chroniqueur lucide ?
    Comment faire pour qu’Henri Guaino et les autres ténors de la droite reconnaissent que vous êtes dans le vrai quand vous les incluez dans « ces générations successives d’incompétents » qui ont bétonné « une France des privilèges, laquelle ne se limite pas aux riches et aux puissants ». Comment faire que vous soyez entendu? En continuant sans relâche, même dans le désert, à nous expliquer les choses telles qu’elles sont. Merci.

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