La politique du pire

La solitude de Philippe
(Photo AFP)

Le Premier ministre, Édouard Philippe, a enfin annoncé qu’il proposait un moratoire de six mois sur la hausse des taxes liées aux carburants le 1er janvier 2019. Les gilets jaunes traitent la décision par le mépris. Le RN, LR et la gauche estiment que le geste est insuffisant. Daniel Cohn-Bendit regrette que la politique écologique du gouvernement recule.

LE MOUVEMENT des gilets jaunes a été spontané. On pouvait en attendre le pire et le meilleur. On n’en a que le pire. Ses manifestations sont le véhicule d’une vaste entreprise de démolition de l’économie française. Il est incapable de formuler des revendications unanimes et raisonnables. Il a fait du blocage des routes, des lieux d’approvisionnement et des ronds-points son objectif unique et ultime. Les gilets jaunes les moins emportés sont menacés de mort s’ils font mine d’aller à Matignon converser avec le chef du gouvernement. Le mouvement se moque de la première avancée dans le conflit, la proposition d’Édouard Philippe, censée précéder une vaste concertation qui permettrait de dégager des pistes utiles.

Le bord de l’abîme.

De leur côté, les partis politiques d’opposition jouent le bord de l’abîme, sciemment et sans le moindre complexe. L’atmosphère nationale est délétère : les pires exactions ne sont pas dénoncées par tout le monde et nombreux sont ceux qui n’y voient que l’expression de la colère d’un peuple à bout de nerfs, comme si le peuple était un système nerveux. Les institutions sont bafouées : on demande l’annulation de mesures, comme la réforme de l’ISF, qui ont été votées par la majorité. Sur les barrages, on espère le prochain départ du président. Là-dessus se greffent les mouvements de l’inconscient collectif, par exemple les lycéens qui incendient leur école.  Aucun élu de l’opposition ne prend sa part de responsabilité, nul ne rappelle que les gilets jaunes expriment un ras-le-bol qui prend ses sources dans la désindustrialisation du pays, contre lequel peu de choses ont été faites au cours des quinquennats précédents. Des élus s’expriment comme s’ils n’avaient pas de passé, comme s’ils n’avaient jamais eu la responsabilité des affaires, comme si la crise était apparue ex nihilo dans un pays sans mémoire.

Rendez-vous samedi prochain.

Tous contribuent donc à ce que se reproduisent samedi prochain les mêmes scènes de destruction, la même guérilla urbaine, les mêmes effets d’une haine d’autant moins contrôlable qu’elle n’a pas, dans le cas des casseurs qui ont été interrogés, une source sociale ou un contexte de misère. Tous s’attachent maintenant à démontrer que le pouvoir est incompétent, qu’il n’a pas su juguler la révolte, tous se préparent à condamner le même gouvernement pour ce qui aura lieu samedi 8 décembre et qui, loin de les désoler, augmente leurs chances de se hisser au pouvoir. Tous rejettent le premier geste d’Édouard Philippe, comme s’il ne fallait pas un début à tout. Parmi eux, il y a ceux qui veulent abattre la Ve République et ceux qui, étant les descendants d’un gaullisme qu’ils ne représentent plus vraiment, ne semblent pas comprendre qu’ils ne seraient pas les bénéficiaires d’une révolution.

La démocratie dans le ravin.

Les meilleurs commentateurs de ce blog sont ceux qui pensent que Macron devrait tout plaquer et qu’il n’a pas besoin de subir de telles insultes, de telles mises en scène sinistres où l’injure est si commune, le verbe si peu maîtrisé, l’épithète si courante qu’à la fin le président lui aussi serait fondé à stigmatiser un déferlement de grossièretés contre laquelle sa fonction ne le protège plus. Il est certain qu’Emmanuel Macron s’est livré à des provocations ; il est certain qu’il n’a pas mesuré l’inquiétude de la « France périphérique » dont on se gargarise, mais dont la définition est bien difficile à établir ; il est certain qu’il a beaucoup de décisions à se reprocher. Mais j’aimerais que l’on m’explique en quoi la démocratie sortira grandie de cette crise dépourvue de tout ressort logique ; j’aimerais que l’on me prouve comment une rupture de type révolutionnaire serait préférable à une large réforme qui relancerait notre appareil producteur et créerait des emplois ; j’aimerais que l’on me démontre comment, en appauvrissant la France, en la transformant en champ de bataille, en donnant d’elle une image couverte par les fumées noires de l’incendie, on améliorerait le sort des gilets jaunes qui, quoi qu’ils pensent, seront, à terme, les premières victimes d’une chute du produit intérieur brut : ils tomberont infailliblement dans le ravin où ils veulent jeter le pouvoir, le régime, les partis et la démocratie.

RICHARD LISCIA

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15 réponses à La politique du pire

  1. Scalex dit :

    Quel dommage que votre bon sens ne soit pas plus largement répandu!

  2. Philippe Banquet dit :

    Malheureusement, j’ai l’impression que la raison n’a plus aucun écho dans ce pays. On ne veut plus entendre que les démagogues. Merci tout de même de maintenir votre cap de lucidité tenace, Espérons que nos compatriotes retrouveront le sens des réalités après cet orage.

  3. chretien dit :

    D’accord avec la majorité de vos arguments.
    Puissiez-vous vous faire entendre et convaincre des hommes raisonnables parmi les plus hauts dirigeants de notre pays pour se mettre d’accord sur une stratégie politique pour gouverner notre pays ! Et qu’ils osent se manifester !

  4. Lefrançois dit :

    Merci pour la clarté de vos vues et de votre raisonnement.
    Malheureusement, nous sommes en plein dans l’irrationnel, avec un emballement de la folie humaine lié à l’effet de meute, l’effet de masse, qui transforme des personnes « normales » et raisonnables en destructeurs sciant la branche sur laquelle ils sont assis et compromettant dangereusement l’avenir de leurs propres enfants.
    Faut-il passer par le chaos pour que naisse un nouvel ordre et que revienne la raison ?
    En même temps, il y a lieu d’être conscient que nous arrivons au bout du capitalisme débridé et de cette société du fric et de la consommation à outrance; il y a plus que jamais la nécessité urgente de se parler, y compris et surtout entre personnes d’avis différents.
    Comment redonner du rêve au plus grand nombre ? C’est la question principale.
    M. Macron est assez intelligent pour s’y atteler sans tabous idéologiques ; il y a urgence, et il y a urgence de prendre en compte la « vraie écologie », celle de la sauvegarde de la population humaine, ce qui est devenu totalement d’actualité.
    On devrait être très loin de la basse politicaillerie dans laquelle se complaisent la plupart des dirigeants de partis politiques français.
    Bien confraternellement,
    Dr Jérôme Lefrançois

    • Michel de Guibert dit :

      Oui, vous avez raison et vous avez l’illustration de la difficulté quand on voit les « gilets jaunes libres » menacés de mort par d’autres plus radicaux.

  5. Marc B dit :

    Merci pour la justesse de vos analyses!
    C’est à désespérer de la France et des Français.
    L’impression de détruire la dernière chance que nous avions de sortir notre pays de l’état de décrépitude où l’avaient laissé les précédents quinquennats, et de sombrer dans un chaos sans retour.

  6. ROUSSEAUX anne dit :

    Que du bon sens. Quand donc les politiciens auront ils envie de faire du bien à leur pays même s’ils sont dans l’opposition ? Quand donneront-ils le bon exemple de rigueur morale et d’intérêt pour leur pays ? Quand accepteront-ils de dire que le pays n’a plus d’argent et que tout le monde doit faire un effort, eux compris. Qui aura le courage de quantifier ce que coûte la politique sociale, de l’annoncer, et/ou de la modifier pour qu’elle soit aussi en adéquation avec le budget français ? Nous aurions bien besoin d’admirer les politiciens français, mais hélas…

  7. richard dit :

    Bravo. Mais comment partager cette analyse si cohérente ? Effectivement est-ce qu’enfin les hommes politiques vont prendre leurs responsabilités et sortir le pays du chaos qui se profile ?

  8. Liberty8 dit :

    Votre lucidité ne pourrait-elle être entendue par nos hommes politiques et par les Français engagés dans cette action, les lycées, les fac entrent en jeu , ils détruisent aussi leur outil pour apprendre, leur avenir, ça sent le suicide social collectif.
    Dommage qu’ils ne lisent pas votre blog.
    Merci pour nous qui vous lisons.

  9. PERNES dit :

    Respect devant votre analyse, qui, comme très souvent, est juste et pleine de bon sens. Vous exprimez exactement mes pensées, mais bien mieux que je ne le ferai jamais. Si au moins, vos articles en général, et celui-ci en particulier, pouvaient être lus par le plus grand nombre de nos concitoyens. Mais même si c’était le cas, je ne suis pas sûr que cela pourrait calmer la fureur ambiante. Merci.

  10. Patricia dit :

    Merci pour cette analyse qui fait se sentir moins seul(e) face à la lâcheté des politiciens amnésiques de tout bord, n’y a-t-il pas moyen de diffuser cette analyse éclairée plus largement ?
    Aller manifester samedi très largement sur l’urgence climatique pour allumer (au sens figuré) un contre-feu ?

  11. Michel de Guibert dit :

    Il est vrai aussi que M. Macron a multiplié les provocations en disant aux chômeurs qu’il suffisait de traverser la rue, en parlant des gens qui ne sont rien… ce mépris des petites gens laisse des traces durables.
    Réponse
    Je l’ai signalé à plusieurs reprises.
    R.L.

  12. ostré dit :

    Oui, mais c’est oublier le sens des revendications qui demandent essentiellement une augmentation globale du pouvoir d’achat pour boucler les fins de mois : augmentation du smic entre autres.
    Réponse
    C’est bien pourquoi je parle de sommes assez élevées pour bouleverser le budget.
    R.L.

  13. JMB dit :

    Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », vos commentaires sur ce sujet s’éloignent pertinemment de l’explication sirupeuse et angélique, et de la compréhension flagorneuse.

  14. admin dit :

    LL (USA) dit :
    Le ras-le-bol en effet. Il me semble cependant que les gilets jaunes commencent à perdre de leur allant. La violence est de moins en moins bien « comprise ».

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