Le temps presse

Macron et Castaner
(Photo AFP)

S’il y a urgence à prévenir un nouveau samedi noir à Paris, on n’en prend pas le chemin. Le lest lâché par le gouvernement n’a pas fait bouger d’une ligne les gilets jaunes.

L’ESPOIR d’une négociation directe avec le mouvement est illusoire. Il ne s’appartient plus. Il est divisé entre diverses tendances qui n’ont pas forcément les mêmes revendications, qui se querellent, se menacent et trouvent leur contentement dans l’action, pas dans la discussion. Il est en outre miné par une ultra-gauche et une ultra-droite décidées à faire le maximum de dégâts. Les exigences lunaires des gilets, démission de Macron, dissolution de l’Assemblée, création d’une assemblée « citoyenne » qui légiférerait correspondent en réalité au concept d’une révolution menée à son terme. Le gouvernement ne peut pas négocier son suicide. De plus, on ne voit pas très bien comment un mouvement aussi peu structuré et désorganisé, traversé par des conflits de tendances, conforté, quoi qu’il en dise, par la violence, point central du débat, pourrait prendre des mesures cohérentes de type gouvernemental.

Violences à venir.

Le maintien des occupations de péages, ronds-points, et autres sites, stratégiques ou non, par les gilets jaunes entraîne, avec le temps, l’apparition de nouveaux mouvements, chez les lycéens, puis les étudiants, parfois chez les pompiers et policiers, et gagnera peut-être plusieurs catégories professionnelles. La CGT et FO ont décrété une grève de leurs chauffeurs routiers à partir de dimanche, ce qui aggravera les difficultés d’approvisionnement qui nous ont déjà coûté cher au niveau de la production et du commerce. Comme rien n’est cohérent dans une révolution en gestation, ceux qui participent au mouvement et s’y associent ne manqueront pas d’attribuer à la responsabilité du gouvernement les futures casses de samedi prochain.

Tout le monde retient son souffle et le pire, c’est que le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner ne donne pas l’impression d’avoir une martingale pour juguler les casseurs. Laurent Wauquiez, chef des Républicains, propose l’état d’urgence qui, certes, améliorerait la sécurité, mais à quel prix ? Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education, souligne que, chez les lycéens, le phénomène nouveau, c’est la violence extrême, plutôt la rage, de manifestants qui, toujours, ont quelque chose à revendiquer, mais pour la première fois, le font avec une sorte de délire nihiliste. C’est mai 68, mais la mauvaise humeur en plus. Le pays est déjà dans un état d’exaspération tel que toute rationalité est ignorée.

Pendre des mesures unilatérales.

Le gouvernement, qui ne peut donc pas négocier, devrait prendre de nouvelles mesures unilatérales en faveur des foyers les plus pauvres. Non que ses décisions relatives au moratoire sur les prix de l’énergie soient nulles. Pourtant, il doit cesser de camper sur ses positions réformistes. Ce sera sûrement un crève-cœur, mais il n’a pas vraiment le choix s’il veut survivre et, après tout, l’histoire de la Ve République est jalonnée de renoncements. Passer le cap, c’est faire des concessions lourdes, des annonces bruyantes qui, bien qu’elles coûtent cher, feront sur l’opinion l’effet d’un électro-choc. Le rôle du pouvoir, c’est, d’abord de séparer les casseurs des gilets jaunes ; c’est ensuite séparer les gilets jaunes de l’opinion. Ils ne rentreront chez eux que s’ils peuvent crier victoire et cela se compte en milliards d’euros.

Changer de cap ou périr.

C’est totalement contraire au programme des pouvoirs publics qui, par ailleurs, ne disposent pas du premier centime pour financer de telles largesses. Il me semble toutefois que le diagnostic est largement posé, que ce qu’on ne fait pas aujourd’hui, on le paie plus cher demain, et qu’il y a assez de talents au gouvernement pour restructurer de fond en comble le projet de budget de 2019. Edouard Philippe a renoncé hier à trois ou quatre milliards de recettes. Il en faut 10 à 15 pour donner (littéralement) de l’argent aux travailleurs les plus pauvres, peut-être en passant par la hausse de 20 % du Smic réclamée par la CGT. C’est fou au regard des équilibres budgétaires, mais c’est la seule chose sensée à faire dans un climat insurrectionnel. Le temps presse, l’urgence est absolue, les contorsions face aux médias des uns et des autres ne présentent aucun intérêt. La question n’est pas de savoir si le président est humilié, s’il doit céder, si c’est juste ou injuste. Tout cela est déjà acté depuis longtemps. Changer de cap ou périr, voilà la question. Si le régime peut se maintenir au prix de lourds sacrifices, rien ne l’empêchera plus tard de reprendre le fil des réformes.

RICHARD LISCIA

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5 réponses à Le temps presse

  1. Sphynge dit :

    « C’est mai 68, mais la mauvaise humeur en plus. » Ou, peut-être, mai 1958, avec un espoir de résolution réelle et durable des problèmes accumulés pendant plusieurs décennies ?

    Réponse
    Désolé d’avoir une attitude pessimiste, mais je suis convaincu au contraire que l’inévitable recul du gouvernement augmentera le nombre de problèmes sans solution.
    R.L.

    • Sphynge dit :

      Certainement ! En fait, 1958 c’était « je vous ai compris » et toutes les réformes (fin de la guerre d’Algérie, mise en œuvre de la décolonisation, réformes institutionnelles profondes et réformes économiques radicales). Mutatis mutandis, ce sont des changements de même ampleur qui seraient aujourd’hui attendus, portant sur tous les problèmes qui bouleversent la société française aujourd’hui et que les gilets jaunes expriment en réalité autant qu’une question de prix des carburants.

  2. JEAN MARIE RADIGUET dit :

    Cher R L. Je suis très étonné de lire que la solution urgente à ce ras le bol déstructuré est de lâcher de milliards alors qu’à longueur d’années vous nous prônez la réduction de la dépense publique. Peut-être la solution serait-elle de fixer des états généraux sur le fonctionnement de la Ve République dans le mois par exemple et remise à plat de l’oligarchie: Sénat, Assemblée, ministères. Parce que lâcher 10 milliards pour saupoudrer des revendications aussi nombreuses que les GJ. Et c’est la fin de toute réforme ds ce pays pour un bon moment.

    Réponse
    Seul le réalisme me conduit à réclamer une solution capable de mettre fin à une situation très dangereuse (vous verrez samedi). On peut très bien renoncer à augmenter les impôts et diminuer la dépense publique. On peut aussi augmenter le Smic et diminuer la dépense publique. La fin de la réforme ? Je crains fort que nous y soyons déjà.
    R.L.

  3. Michel de Guibert dit :

    Le plus important est de tout faire pour casser ce climat de guerre civile.

  4. JULIEN dit :

    C’est terrible de devoir céder à la violence, mais comment faire autrement, pour éviter que le sang coule ? Les gilets jaunes auront atteint leur but par la violence même si beaucoup d’entre eux sont certainement des non-violents.

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