Un citoyen corvéable

Au supermarché
(Photo AFP)

Environ quatre millions et demi de contribuables se sont précipités hier pour faire leur déclaration de revenus en ligne, ce qui a provoqué une panne générale, de la panique, l’affolement. Les services fiscaux ont vite fait de rétablir le système et le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin a donné deux jours de plus aux retardataires.

L’INCIDENT est bénin et je dois dire, avant toute chose, que les impôts savent réparer leurs erreurs, lisent les messages que leur envoie le contribuable, se conduisent en parfaits libéraux. Il se trouve cependant que, ignorant les malheureux vieillards cacochymes, les illettrés et les allergiques à Internet, M. Darmanin a juré de contraindre la totalité de la population française à déclarer en ligne dans un délai très court, sans doute l’année prochaine. C’est le nouveau monde, la jeunesse, la vitalité, l’avenir.  Mais c’est aussi, comme dans beaucoup de domaines, une manière de réduire le nombre de fonctionnaires et de faire faire par le consommateur le travail pour lequel quelqu’un devrait être payé. Je n’ai pas encore lu de loi qui m’oblige à savoir me servir de mon ordinateur. L’autre jour, j’avais un problème avec le courrier et le dépanneur téléphonique n’a pas cessé de me gronder comme un enfant de six ans, de me reprocher mon ignorance et de s’adresser à moi dans le langage des bébés comme si j’étais un demeuré.

Suprématie de la caissière.

Cela fait des décennies que nous payons l’essence de plus en plus cher sans obtenir le moindre service. À nous de nous servir à la pompe, à nous de payer, à nous de laver la voiture, à nous de regonfler les pneus. Au supermarché, on a installé des caisses automatiques, très utiles quand les clients font la queue, mais d’un maniement qui exige parfois des connaissances trigonométriques (j’exagère à peine). Le pire c’est que devant les caisses trône une surveillante qui vous observe avec suspicion, l’idée étant que vous êtes beaucoup plus malin que bête et que vous n’êtes venu que pour voler. C’est très humiliant pour le consommateur honnête qui voudrait bien qu’on le traite avec les égards dus aux personnes qui créent des emplois. Je n’ai jamais senti la moindre reconnaissance chez les caissières de supermarché, elles semblent toutes penser que si j’arrêtais de consommer, elles auraient moins de travail, sans se douter qu’à en avoir moins, elles risquent de le perdre.

Beaucoup de métiers en un seul.

Professionnellement, c’est un peu pareil. Les journalistes qui croient que leur métier, c’est de rapporter et d’écrire, se trompent. Ils ont désormais la tâche de corriger, de choisir les illustrations, de les télécharger et de les mettre en page. Bien entendu, ces systèmes créent des circuits courts au sein desquels des hommes et des femmes doivent être capables de tout faire, peut-être d’aller vendre leur journal le soir à la criée dans les rues de Paris et où les vieux journalistes, comme moi, rencontrent des « bugs » qu’ils ne savent pas éliminer, attirant sur leur personne le regard consterné de leurs collègues qui les croient sortis de Normale quand ils n’ont besoin que d’apprendre l’informatique. Et puisque je m’adresse à des médecins, j’ajoute que j’ai beaucoup de peine à obtenir mes rendez-vous, de sorte que je suis tenté par l’auto-médication, exercice interdit car dangereux. Ingénieur, pompiste, caissière de supermarché, programmateur informatique, j’en ai des métiers. Malheureusement, je les exerce très mal, on me croit débile ou sénile. Du coup, personne ne dit que mes articles sont intéressants.

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11 réponses à Un citoyen corvéable

  1. dr Simon jean-jacques dit :

    Richard, vos articles sont non seulement intéressants mais engagés dans le bon sens du terme. Continuez à nous éclairer dans ce monde qui doute souvent sans but réel. Les analyses que vous avez faites sur les gilets jaunes sont très exactes …malheureusement. Merci de votre regard à la fois humain et perspicace pour nous décrire le monde de l’intérieur .

  2. BCG dit :

    Parmi la demi-douzaine de revues nationales et internatinales medicales reçues chaque jour et dont j’ai de plus en plus de mal à en faire la lecture,le seul article que je lise en premier et en priorité absolue est votre édito…

  3. AL dit :

    Cher Monsieur,
    Votre billet de ce soir devrait vous attirer des centaines de réponses. Je me régale à les lire chaque semaine dans le quotidien. Merci encore de votre perspicacité et de vos engagements.

  4. Pierre LEROY dit :

    Bien sûr que vos articles sont intéressants. Et comme le dit BCG, je lis votre edito en premier, et je dois même dire que je garde mon abonnement au QDM pour avoir le plaisir de vous lire; et j’en fait également profiter mes enfants, ma famille et mes amis.
    Et vos articles, les décideurs et les politiques devraient aussi les lire, bien sur.
    Ne prenez surtout pas votre retraite M. Liscia, et gardez vous en bonne santé, grâce à votre auto-médication.
    Très fidèlement votre
    Réponse
    Remerciements empressés.
    R.L.

  5. R Bensid dit :

    Si vous vous êtes incompétent et ignorant, le monde devrait être peuplé d’incompétents de votre espèce. Merci de nous éclairer si souvent du regard aigu que vous portez sur l’actualité.

  6. deregnaucourt dit :

    Voilà bien longtemps que je vous lis et vous admire pour votre style littéraire et la pertinence de vos analyses. Vous êtes le Jacques Bouveresse du journalisme.
    Réponse
    Merci.
    R.L.

  7. D.S. dit :

    Installé depuis 1984, je commence toujours à lire le QDM par la dernière page. Pendant longtemps, nous reçevions le journal gratuitement. Depuis quelques années, j’ai du m’abonner, surtout pour continuer à lire… la dernière page. Un de mes meilleurs souvenirs: la bataille Chirac-Balladur de 1995. Il y a quelque temps, je me suis d’ailleurs permis de vous taquiner sur votre pronostic de l’époque. Les incertitudes électorales sont toujours d’actualité. Merci encore pour la pertinence de vos articles et surtout pour votre objectivité. Et surtout, ne vous pressez pas de raccrocher votre clavier.

  8. CARDOSO CLAUDE dit :

    Je pense au contraire que tu es l’un des rares journalistes  » intéressants « .
    C’est un plaisir quotidien de suivre ton blog,qui nous éclaire sur la politique .
    Merci, j’espère que ton auto-médication te protègera encore longtemps !
    Claude
    Réponse
    Merci, Claude, mon vieil ami.
    Richard

  9. Dr DENIS dit :

    La reconnaissance est primordiale dans la vie et vous avez raison de le faire remarquer!
    Comme beaucoup d’autres je lis en priorité vos articles très intéressants, toujours justes, empreints d’humanité , et la période des vacances laisse toujours un vide…
    Merci pour vos analyses clairvoyantes et surtout n’arrêtez pas!!

  10. CHRETIEN dit :

    Pas toujours d’accord avec vos analyses mais elles me permettent toujours de réfléchir, de moduler et même dans certains cas de rectifier mon jugement.
    Un plaisir de vous lire. Simplement merci.

  11. Duchene dit :

    Respect, M. Liscia. Si tous les journalistes avaient votre perspicacité et évitaient les bavardages inutiles , on ne s’en porterait que mieux. Merci pour votre travail qui nous éclaire sur l’actualité Et nous permet de réfléchir au lieu d’avaler les bavardages d’autosatisfaction de vos confrères de la presse télévisuelle. Personne n’est obligé d’être d’accord avec vous, mais j’en connais beaucoup qui feraient bien de vous lire avant d’émettre leurs sentences péremptoires.

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