La fureur du bac

Blanquer : vision longue
(Photo AFP)

Je m’aventure rarement dans le domaine de l’éducation, car il s’agit d’un dossier très compliqué, qui a fait l’objet de réformes multiples dont personne n’est jamais satisfait. La crise qui oppose le ministre Jean-Michel Blanquer à une minorité d’examinateurs refusant de livrer leurs notes et laissant ainsi les candidats en suspens, me contraint néanmoins à la commenter.

M. BLANQUER, qui avait juré que toutes les notes seraient publiées, a bien compris, cette fois, qu’il se heurtait à un mur. Il a donc décidé de donner aux candidats la moyenne des notes obtenue pendant l’apprentissage continu de l’année, ce qui les défavorise par rapport à ceux dont les notes sont publiées et aggrave la crise avec les professeurs menacés d’une retenue lourde sur leurs salaires. Depuis la formation du gouvernement d’Édouard Philippe, M. Blanquer est présenté comme un as de la réforme, un immense spécialiste de l’éducation, un homme dont l’autorité naturelle n’est pas inférieure à celle du président. Il avance dans la réforme de l’éducation à visage découvert, avec un sang-froid tout à fait remarquable, et donnait l’impression, jusqu’à présent, que rien, dans la fronde des éducateurs, ne risque de le faire vaciller.

La meilleure des deux notes.

Là, il va avoir les candidats et les parents d’élèves contre lui, puisque, sous l’empire de la nécessité, il est obligé d’introduire une sérieuse inégalité dans les résultats du baccalauréat (80 000 copies sur plus de 4 millions). Certes, il n’est pas responsable du conflit avec les professeurs, sauf en tant que ministre qui prend des décisions sans consulter les principaux intéressés. Certes, les profs exagèrent, et qui n’exagère pas dans ce magnifique pays qui est le nôtre ? Mais enfin, la solution Blanquer à la « crise des notes » n’est pas tout à fait la bonne, même s’il a promis que, plus tard, la meilleure des deux notes, celle de l’enseignement continu ou celle du bac, serait retenue.

Le ministre de l’Éducation nationale est victime de son propre succès. Il a mis en œuvre une réforme d’inspiration macronienne et il a l’a fait à une allure qui, tout en bousculant les partenaires syndicaux, semblait irrésistible. Quelques concertations avec les organisations représentatives des enseignants auraient peut-être évité le clash actuel. Mais on ne se refait pas. Blanquer, c’est Macron bis et l’aval du président, la certitude d’agir utilement et brillamment dans un domaine d’une complexité inouïe qui soulève d’énormes passions, lui ont suggéré de ne pas s’arrêter trop longuement sur des mécontentements qui, pourtant, n’ont cessé de prendre de l’ampleur.

La gouvernance est un marathon.

Cependant, nous savions que les réformes précédentes restaient incomplètes, qu’il fallait de nouveaux ajustements, qu’il était temps de mettre à bas quelques tabous, notamment en ce qui concerne le baccalauréat. On a donc vu M. Blanquer prendre à bras-le-corps la formation des déshérités, ceux, et ils sont nombreux qui, lors de leur accès à l’enseignement secondaire, sont encore illettrés. Il leur donne maintenant une chance. Ils sont entourés et choyés au sein de classes plus petites. Le ministre a levé quelques malédictions qui se traduisent par plus de chômage structurel et une inquiétante dérive des communautarismes. Il a donc, après quelques bonnes expériences, bénéficié d’une carte blanche. Il survole le champ de bataille, communique parfaitement, donne des explications sages et sereines, on lui donnerait le bon Dieu sans confession.

Voilà qu’il trébuche, mais sans tomber. Il lui faut néanmoins changer de méthode. Il sait bien que la guérilla du baccalauréat cristallise une foule de frustrations chez les enseignants. Il sait bien qu’il ne les a pas suffisamment associés à sa réforme. Il sait bien, en quelque sorte, qu’il est en France. S’il est vrai qu’il a fait, en deux ans, un parcours rapide et surprenant, il ne doit pas oublier que la gouvernance est un marathon, pas un sprint. Avec les syndicats d’enseignants, il a affaire à des gens coriaces, connus pour leur conservatisme. En même temps, comme beaucoup de catégories professionnelles, ils font un métier difficile, et même épouvantable dans les quartiers sensibles où ils ne parviennent ni à imposer leur autorité personnelle ni à introduire dans les cerveaux le sens civique et moral. « C’est la réforme qui s’en charge ! », s’exclamera-t-il. Il fait laisser sa chance à cet homme.

RICHARD LISCIA

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Une réponse à La fureur du bac

  1. D.S. dit :

    Après l’épisode « gilets jaunes », les prises d’otages continuent. On a aussi le personnel des urgences qui « se met en arrêt de travail ». Le temps est loin où seuls les chauffeurs routiers et les agents SNCF bloquaient le pays pour parvenir à leurs fins.

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