La grande migration

Paquebot à Venise
(Photo AFP)

Après le chaos des résultats du baccalauréat, le grand départ en vacances. Les Français sont tellement prévisibles. Mais la plupart n’ont pas le choix, qui subissent la conjonction de l’instinct grégaire et de la nécessité d’alterner année de travail et semaines de vacances.

ON NE PEUT partir hors saison que si on n’est plus actif.  Qu’importe la cohue dans les gares et les aéroports si, au terme d’un voyage harassant, ils atteignent enfin la sérénité et même la joie de vivre. Les vacances sont aussi un moment de regroupement familial. Ce n’est que lorsque les enfants prennent leur essor que les parents, plus mûrs, vont à la découverte du monde. Ce qui me semble étrange, c’est que le repos annuel soit devenu, avec le temps, un sérieux problème, celui du tourisme de masse qui n’épargne ni ceux qui s’y livrent involontairement, ni ceux qui s’épuisent à les recevoir, à les loger, à les nourrir et, souvent, à les soigner. Je pense notamment aux migrations automobiles sous la canicule, phénomène dangereux et fatiguant. Il ne viendrait pas à l’esprit de ceux qui ont besoin de se déplacer en voiture, des millions de gens jetés sous les routes, que rester à la maison avec un bon livre leur épargnerait la corvée d’un voyage qui a perdu tout son romantisme.

Des paquebots dans Venise.

Le tourisme est en parfaite contradiction avec le danger du réchauffement climatique et les remèdes possibles pour le juguler. Les gens achètent des voitures de plus en plus grosses et un récent rapport indique qu’ils ne respectent guère, dans leur majorité, les prescriptions du code de la route. Je pense à ces images hallucinantes des énormes paquebots de croisière qui se promènent dans Venise en malaxant les eaux des canaux, en frôlant les fondations des immeubles, en secouant la ville comme un cocotier sous le vent. À voir ce hideux spectacle, cette contradiction entre les maisons ancestrales et ces navires ultra-modernes qui semblent sortir du film de Fellini, E la nave va, on se dit que ça ne va pas durer, que Venise finira un jour par être engloutie, vaincue par le tourisme de masse, celui-là même dont elle aura si longtemps vécu. Il doit y avoir parmi nous pas mal d’individus qui hésitent à partir, même si la chaleur devrait les faire fuir. Mais où aller ? Pas à Venise en été, pas sur les côtes, dans aucun de ces endroits glorifiés par la littérature et par la publicité, dont la réputation est immense et la fréquentation excessive.

Paris en été.

Rester ? Attendre que Paris soit enfin désert, s’asseoir au bord de la Seine ou à la terrasse d’un café, observer la beauté de la ville. Mais aussi trouver un coin à l’ombre qu’un touriste n’aurait pas découvert. Nos envoyons des régiments de Français à l’étranger, nous en recevons encore plus. Le tourisme était la liberté sans frontières, il devient un épineux dilemme de société. Soyons fous, allons au diable (vauvert), partons très loin, là où il faut parler d’autres langues, bref expérimentons le changement d’air. Vaste programme. Je fais ce genre de voyage tous les étés pour retrouver mon fils et ma belle-fille. Ils vivent tout près de San Francisco, de sorte que si j’en connais bien la banlieue, je ne prends pas le risque d’aller en ville : trop de circulation. L’hiver, je vais à New York où vit ma belle famille, mais ma visite se limite à un espace de deux kilomètres carrés entre la quatre-vingt onzième rue et la quatre vingt quatrième.  La foule, la lenteur des déplacements en taxi, la visite de lieux que je connais déjà, à quoi bon ? Le tourisme familial permet de ne rien faire de ce que les autres font. À quoi il faut bien ajouter la fatigue d’une année laborieuse, le besoin de s’adresser à des êtres chers et, maintenant, de compter les jours qui passent.

RICHARD LISCIA

 

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4 réponses à La grande migration

  1. Michel de Guibert dit :

    « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » (Blaise Pascal)

  2. Thierry Reme dit :

    Tout en parlant la même langue, mais ailleurs certainement: les Marquises
    Pas de foule, pas de … la seule vraie possibilité d’une île.
    Comme disait Léo Ferré, “tout seul peut-être, mais peinard”

  3. Sphynge dit :

    Vous parlez d’or !

  4. Chambouleyron dit :

    Bonnes vacances M. Liscia. Revenez -nous de chez Trump gonflé à bloc pour votre blog enrichissant.
    Réponse
    Je ne suis pas encore parti, justement pour éviter les encombrements. Vous devrez me supporter jusqu’à la fin du mois.
    R.L.

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